• Jul 7, 2025

Algérie 2040 : Des défis immenses… mais un potentiel énorme

  • Mehdi Leformateur

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Préambule

Avant de plonger dans l’analyse, je me présente brièvement pour que tu saches d’où je parle. Je suis né en France, tout comme mes parents ; mes deux grands-pères, eux, venaient de Sidi Okba et de Sétif. Je ne me prétends pas spécialiste de l’Algérie : je m’appuie sur mon cursus d’historien contemporain et sur six années supplémentaires en intelligence économique. Autrement dit, j’ai appris à croiser les sources, à vérifier chaque chiffre et à en tirer une lecture stratégique.

Ma femme est française d’origine marocaine. Nous avons quatre enfants et nous menons aujourd’hui les démarches pour qu’ils disposent, aux côtés de leur passeport français, des nationalités algérienne et marocaine. Je grandis sans la langue ni les rites de l’Algérie, car mes grands-pères avaient épousé des Françaises et mes parents ont grandi ici. Il me reste pourtant une fierté nette : celle de racines algériennes et de la foi musulmane. L’un de mes grands-pères militait dans un réseau du FLN installé en France ; il est rentré en Algérie en 1962 et est mort quelques années plus tard, victime d’une chute alors qu’il construisait sa maison. Je ne l’ai pas connu, mais son histoire trace une ligne de force : retourner sur la terre familiale est pour moi une évidence.

Obtenir la nationalité algérienne par filiation sera un parcours exigeant, je le sais. Je suis décidé à le mener à bien, pour moi et pour mes enfants. Le retour affectif, en somme, n’est pas négociable.

Ce qui l’est, c’est la question suivante : l’Algérie, en 2025, offre-t-elle un terrain d’investissement solide ? Revenir pour voir la famille est une chose ; y engager du capital, y acheter une maison ou y lancer une entreprise en est une autre. Avant toute action, je veux la même rigueur qu’on applique quand on achète un appartement : on vérifie les fondations, le voisinage, les charges.

Mon étude part de deux questions très concrètes.

Première question : à quoi ressemblera l’Algérie dans quinze à vingt ans ? Je teste plusieurs scénarios, de la trajectoire ascendante – comparable à un marché immobilier encore sous-valorisé – à l’hypothèse où la demande mondiale d’énergie chuterait brutalement. Deuxième question : quels secteurs offrent aujourd’hui un couple risque-rendement acceptable ? Immobilier résidentiel, agro-industrie tournée vers l’export, numérique de proximité, énergies renouvelables : j’examine les données de prix, les barrières d’entrée et les retours moyens constatés.

Si l’économie algérienne se situe au début d’une phase de croissance durable, un investissement réalisé en 2025-2026 pourrait, à l’horizon 2040, multiplier le capital par deux, trois ou davantage.

À l’inverse, si les fondamentaux se dégradent, l’investisseur risque une érosion du capital et de précieuses années perdues. Mon but est de documenter ces options de façon transparente, sans promesse facile ni discours catastrophiste.

Dans l'article qui suit, tu trouveras donc une analyse continue : contexte macroéconomique, forces et faiblesses sectorielles...

Mon engagement est simple : chaque affirmation repose sur une source vérifiable, chaque recommandation découle d’indicateurs tangibles.

A toi, lecteur, de décider ensuite, en pleine connaissance de cause si l’Algérie mérite non seulement ton attachement, mais aussi ton capital et ton énergie pour les années à venir :)

La fin d’une époque, le début d’un espoir

Tu le sais, l’Algérie a traversé des épreuves terribles et en est sortie vivante. La génération post-indépendance, héritière du FLN, arrive en fin de parcours – ce qui peut sembler inquiétant, mais c’est en réalité porteur d’espoir. Malgré un système politique complexe et des luttes de clans souvent perçues comme de la division, l’Algérie a prouvé une résilience extraordinaire.

Souviens-toi : dans les années 1990, le pays a sombré dans une guerre civile atroce, la “décennie noire”, qui a coûté la vie à environ 150 000 personnes. Et pourtant, moins de dix ans plus tard, la paix est revenue.

L’État algérien a réussi à reprendre le contrôle de tout son territoire et à désarmer en grande partie les groupes armés. C’est un exploit quand on compare à d’autres nations : la Colombie a mis plus de 52 ans à sortir de son conflit interne au prix de 220 000 morts, et la Somalie reste engluée dans la guerre civile depuis 1991 !

Aujourd’hui, l’Algérie est considérée comme un pays sûr, où même les touristes se sentent en sécurité pour la plupart des régions. Cette capacité à rebondir après le pire offre un espoir fou : si le pays a pu se relever de la guerre civile, il peut sûrement vaincre les autres défis qui l’attendent...

Transition démographique : un atout à saisir

Autre évolution porteuse d’espoir : la transition démographique. La population algérienne reste très jeune, mais le taux de fécondité a nettement baissé depuis les années 1980. On est passé de plus de 7 enfants par femme dans les années 1970 à environ 2,7 enfants par femme aujourd’hui. C’est une baisse spectaculaire qui s’est faite sans coercition, sans politique autoritaire comme il y en a eues en Chine (politique de l'enfant unique) ou en Inde (stérilisation des femmes).

Les familles algériennes ont, d’elles-mêmes, moins d’enfants, en misant sur leur éducation et leur avenir. Cette baisse de natalité donne une chance de rattrapage : moins de pression sur les écoles, sur les emplois, sur les logements. Le fameux « boom jeune » qui a parfois freiné le développement (trop de jeunes à absorber sur le marché du travail) va progressivement s’atténuer.

Mieux : l’Algérie conserve encore un taux de fécondité autour de 2,5 à 2,7, ce qui reste au-dessus du seuil de renouvellement des générations.

Elle évite le piège d’un vieillissement accéléré qui frappe l’Europe (où les taux sont souvent autour de 1,5 enfant par femme – même la France culmine à 1,8). En clair, l’Algérie de 2040 aura une population plus mature, mais encore suffisamment jeune et dynamique pour alimenter sa croissance, là où l’Europe manque de bras. C’est une fenêtre démographique précieuse.

Cependant, attention : cette transition n’est un atout que si l’économie suit.

Si l’Algérie ne crée pas assez de richesse et d’emplois, la fécondité pourrait continuer de chuter et passer sous la barre des 2 enfants par femme. Le pays entrerait alors dans une véritable dépression démographique, avec moins de jeunes pour porter les anciens. Pour éviter ça, il faut de la croissance et surtout l’émergence d’une véritable classe moyenne.

Mais comment bâtir cette classe moyenne indispensable ? ?

D’abord en diversifiant l’économie pour créer des emplois stables et bien payés, on y reviendra. L’État pourrait aussi encourager le retour des compétences expatriées. Pense aux Algériens de France ou du Canada qui ont un savoir-faire, un peu d’économies, et parfois l’envie de revenir si les conditions sont bonnes. Les attirer pour qu’ils investissent au pays, ce serait double bénéfice : on récupère des « cerveaux » et du capital.

Pour cela, il faut faciliter leurs démarches (création d’entreprise simplifiée, incitations fiscales, garantie de stabilité juridique).

Mais la diaspora ne suffira pas. Créer une classe moyenne, c’est aussi encourager l’entrepreneuriat local (on en reparlera) et soutenir les PME. L’État algérien pourrait, par exemple, lancer de grands programmes de logements accessibles – ce qui dynamise le bâtiment et l’emploi –, développer le crédit aux petites entreprises, ou encore investir dans des secteurs créateurs d’emplois qualifiés (technologie, énergies renouvelables, agriculture intensive).

La formation professionnelle est clé : il faut que les jeunes acquièrent les compétences recherchées pour occuper de bons postes et monter en revenus.

En France, un bénéfice de société est soumis à un taux d’impôt uniforme de 25 % depuis 2022 ; pour les très grands groupes, une surtaxe temporaire peut pousser la facture jusqu’à 27 – 28 % (taxsummaries.pwc.com, ft.com). Sur la paie d’un salarié moyen, l’employeur verse en plus environ 45 % de charges sociales, le salarié 20 – 23 % ; le « coût complet » d’un euro net versé atteint donc presque un euro et demi (taxsummaries.pwc.com). Additionnées à l’impôt sur le revenu, progressif jusqu’à 45 % et assorti d’un prélèvement supplémentaire de 3 % ou 4 % au-delà de 250 000 € (taxsummaries.pwc.com), ces prélèvements portent le taux global sur le travail à 46,8 %, quatrième niveau le plus élevé de l’OCDE (oecd.org).

L’Algérie reste plus légère sur le papier : 26 % d’impôt sur les sociétés dans les services (19 % dans l’industrie), un barème du revenu plafonné à 35 %, des cotisations patronales proches de 26 % (entreprendre.service-public.fr, oecd.org). Pourtant, trois taux d’IS, un barème à paliers et des exonérations ponctuelles rendent le système moins lisible que celui d’un pays réellement attractif.

Pour prendre une longueur d’avance sur le Maroc, la Tunisie, l’Espagne et sur la France, Alger pourrait calquer une architecture très simple inspirée de l’Estonie et de Dubaï : zéro impôt tant que le bénéfice reste dans l’entreprise, flat tax de 15 % seulement au moment où il est distribué ; impôt personnel unique de 10 % pendant sept ans pour chaque membre de la diaspora ou investisseur étranger qui s’installe et réinjecte ses revenus dans le pays ; exonération totale de cotisations patronales sur les cinq premiers salariés pendant trois ans ; immatriculation et déclarations 100 % en ligne bouclées en quarante-huit heures, sur le modèle de l’e-Residency estonienne (tradingeconomics.com, cleiss.fr).

Avec ce schéma, si tu réalises 100 000 € de bénéfice et que tu le réinvestis, tu gardes la totalité pour financer ta croissance ; en France, tu abandonnes 25 000 €. Quand tu distribues finalement tes 100 000 €, tu paies 15 000 € en Algérie reconfigurée au lieu de 25 000 € en France. Sur la masse salariale, la suppression provisoire des charges patronales réduit immédiatement l’écart de vingt points que révèle le tax wedge de l’OCDE.

À cette condition de simplicité et de stabilité, l’Algérie peut rejoindre le cercle très restreint des juridictions fiscales jugées « hyper attractives ». La mécanique est connue : un taux plus bas, appliqué à une base élargie, rapporte au moins autant qu’un taux élevé sur une base restreinte. Les chiffres montrent qu’il existe là un levier concret pour transformer le désir de retour des entrepreneurs de la diaspora en décisions d’investissement rapides.

Enfin, un point culturel : valoriser le travail féminin, de manière adaptée. Sur ce sujet, soyons nuancés. Beaucoup d’experts disent que la participation des femmes au marché du travail est un moteur du développement. C’est vrai qu’on ne peut se priver de la moitié des talents du pays. D’ailleurs, les Algériennes sont de plus en plus éduquées et elles ont démontré leurs compétences (il suffit de voir leur présence dans la médecine, l’enseignement, l’ingénierie). Faciliter leur accès à l’emploi, c’est mathématique, augmente la richesse nationale. Mais, ce n’est pas le facteur miracle non plus. Dans l’histoire, certains pays ont eu de fortes croissances avec peu de femmes actives (la France des Trente Glorieuses par exemple, où beaucoup de femmes étaient au foyer). La clé, c’est de trouver un équilibre qui correspond aux valeurs et aux besoins de la société algérienne. Un modèle inspirant est celui de l’Europe du Nord, où l’État permet aux femmes de concilier carrière et maternité. Congés parentaux généreux, crèches accessibles, horaires de travail flexibles… Tout cela permet aux femmes de travailler sans renoncer à leur rôle de mère, et aux hommes de s’investir aussi à la maison. Ce modèle scandinave, au fond, correspond bien à l’éthique musulmane qui valorise la famille tout en prônant l’égalité. En Algérie, imaginer pour 2040 des politiques familiales ambitieuses (crèches d’entreprise, horaires aménagés, protection des femmes enceintes au travail, etc.) pourrait à la fois encourager la participation féminine et préserver la cellule familiale. Un État qui aide les familles, c’est un État qui se renforce sur le long terme.

Des villes intelligentes et durables

En 2040, les grandes villes algériennes – Alger, Oran, Constantine, Annaba… – pourraient devenir de véritables métropoles à succès, si on s’y prend bien dès maintenant. Ces dernières années, la question urbaine est devenue cruciale : comment accueillir des millions d’habitants en offrant une bonne qualité de vie ?

Plusieurs projets futuristes pourraient transformer le visage des villes algériennes.

D’abord, les transports.

La congestion est un problème actuel (qui n’a pas pesté dans les embouteillages d’Alger ?), mais on peut la résoudre avec de la vision. Imagine un réseau de tramways et de métros électriques couvrant les principales agglomérations. Alger a inauguré son métro en 2011 et ne cesse de l’étendre, les tramways circulent déjà à Constantine, Oran, Sétif…

En 2040, on peut imaginer que chaque grande ville ait son métro ou son RER, alimenté à l’électricité propre. Les bus pourraient être électriques aussi, ou à hydrogène, supprimant pollution et bruit. Et pourquoi pas des téléphériques urbains dans les zones escarpées (Alger est construite sur des collines, un téléphérique existe déjà à Oued Koriche – on pourrait multiplier ce genre d’initiatives). L’avantage : des transports rapides, propres, et moins de voitures en ville.

Ensuite, la planification urbaine. Plutôt que de laisser les bidonvilles ou les constructions anarchiques s’étendre, il faut construire en hauteur. Des immeubles modernes de 10, 15, 20 étages bien conçus peuvent accueillir beaucoup de monde sur peu d’espace. Ça évite l’étalement urbain qui grignote les terres agricoles. Bien sûr, construire en hauteur impose d’assurer les ascenseurs, l’eau, l’électricité de manière fiable – c’est un challenge technique et de gouvernance.

Mais c’est nécessaire pour éviter qu’en 2040, Alger ou Oran s’étalent sur 50 km et que tout le monde passe 3 heures en transport. On pourrait imaginer des quartiers nouveaux avec des tours résidentielles, entourées d’espaces verts, connectées par tram ou métro au centre-ville.

Et qui dit espaces verts dit aussi jardins municipaux et potagers urbains. Pourquoi ne pas réserver des terrains dans chaque commune pour que les habitants puissent cultiver fruits et légumes ? À New York, à Paris, cela se fait de plus en plus.

En 2040, une ville intelligente algérienne pourrait avoir des fermes urbaines sur les toits d’immeubles ou en périphérie, gérées par la commune ou des coopératives de citoyens. Cela renforcerait l’indépendance alimentaire locale et le lien social. L’Algérie a fait de la sécurité alimentaire une priorité stratégique, et on en reparlera en détail pour l’agriculture du pays. Mais même à l’échelle urbaine, pendant la pandémie ou en cas de crise, savoir produire une partie de ses légumes en ville est un plus.

Un autre levier, c’est l’énergie solaire en ville. Le pays bénéficie de 2 000 à 3 500 heures de soleil par an selon les régions, c’est énorme. On pourrait équiper tous les grands toits (usines, centres commerciaux, stades) en panneaux solaires. Pense à Bab Ezzouar (la banlieue d’Alger) ou aux zones industrielles d’Oran : des milliers de mètres carrés de toitures inutilisées qui, couvertes de photovoltaïque, fourniraient de l’électricité locale. D’ici 2040, les cellules solaires seront encore moins chères et plus efficaces qu’aujourd’hui.

L’Algérie a d’ailleurs fixé un objectif ambitieux de 22 000 MW de capacité renouvelable d’ici 2030 (dont environ 13 500 MW solaires et **5 000 MW éoliens). Si cela se concrétise, près de 30 à 40 % de l’électricité nationale pourrait provenir du soleil dès 2030, et sans doute plus encore en 2040. Imagine des villes partiellement alimentées par des fermes solaires dans le désert tout proche, ou par des panneaux sur chaque immeuble : cela réduirait la dépendance au gaz et à l’essence en zone urbaine.

Enfin, il y a la notion de villes intelligentes (“smart cities”).

En 2040, nos villes algériennes pourraient être gérées par des systèmes informatiques optimisant la circulation (feux tricolores intelligents), la distribution d’eau (détection des fuites), l’éclairage public (lampadaires à LED avec capteurs de mouvement)… Tout ça existe déjà ailleurs. L’Algérie, avec sa population jeune portée sur le numérique, a tout le potentiel pour adopter ces technologies et rendre les villes plus efficaces et agréables à vivre.

Pauvreté : où en est l’Algérie par rapport aux autres ?

Parlons maintenant du niveau de vie et de la pauvreté. Est-ce que l’Algérie est un pays pauvre ? Difficile de répondre simplement. Officiellement, la pauvreté extrême a quasiment disparu : seulement 5,5 % des Algériens vivaient sous le seuil officiel de pauvreté en 2011, et moins de 0,5 % en pauvreté absolue extrême. C’est comparable au Maroc voisin (environ 4 à 5 % de pauvreté monétaire) et bien meilleur que l’Égypte qui dépasse les 29 %. La Turquie est autour de 13-14 % de pauvres, l’Espagne à peine 2-3 % si on prend le seuil international de 5,50 $ par jour. En pourcentage, l’Algérie fait donc partie des pays africains les moins pauvres, et même dans le monde émergent c’est un taux bas.

Mais attention aux chiffres : les critères comptent. Le seuil de pauvreté algérien est assez bas (autour de 1,25 $ par jour en parité de pouvoir d’achat). Beaucoup de gens “non pauvres” officiellement ont en fait un niveau de vie modeste. La Banque Mondiale estimait qu’en 2011 environ 10 % des Algériens étaient vulnérables, c’est-à-dire juste au-dessus du seuil mais risquant de replonger en cas de coup dur. Et surtout, il y a de fortes disparités régionales : la pauvreté est deux fois plus élevée dans le Grand Sud saharien, et trois fois la moyenne nationale dans les Hauts Plateaux steppiques.

L’Algérie a réussi à faire reculer la misère, mais elle fait face à des inégalités importantes entre riches et pauvres (les 10 % les plus riches consomment 27 % de plus que les 10 % les plus pauvres). En gros, très peu d’Algériens meurent de faim ou vivent avec moins d’un dollar par jour, ce qui est déjà un accomplissement, mais beaucoup ont du mal à joindre les deux bouts, surtout avec le chômage des jeunes.

Si on compare à d’autres pays.

Le Maroc a fait des progrès, passant de 8,9 % de pauvres en 2007 à 4,2 % en 2014. Mais il reste une pauvreté rurale assez forte là-bas (presque 19 % des ruraux marocains sous 3,10 $/jour).

L’Égypte, elle, a vu la pauvreté exploser après 2016 (dévaluation, inflation) : quasi un tiers des Égyptiens sont considérés pauvres, ce qui est énorme pour un pays de 100 millions d’habitants.

La Turquie avait beaucoup réduit sa pauvreté dans les années 2010 (tomber à ~10 %), mais la récente crise monétaire l’a fait remonter un peu vers 14 %.

L’Espagne, pays développé voisin de l’autre côté de la Méditerranée, a très peu de pauvres extrêmes (2-3 % seulement) mais une proportion notable de gens « à risque de pauvreté » selon les critères européens (environ 20 % de la population espagnole a un revenu inférieur à 60 % du revenu médian, ce qui correspond plus à de l’exclusion relative).

Tout ça pour dire : l’Algérie n’est pas condamnée à la misère, loin de là.

Elle a même un filet social (subventions, transferts) qui a bien réduit la pauvreté monétaire.

Le défi, c’est plutôt d’élever le niveau de vie général pour créer cette fameuse classe moyenne dont on parlait. Il faut que les Algériens ne se contentent pas de ne pas être pauvres, mais qu’ils puissent consommer, voyager, investir…

Bref, vivre décemment du fruit de leur travail.

En 2040, on peut imaginer une Algérie sans pauvreté extrême du tout (objectif faisable d’ici là), et avec une fraction bien plus large de la population dans la classe moyenne. C’est ambitieux, mais réalisable si la croissance suit.

Femmes et développement : trouver le modèle gagnant

Est ce que le travail des femmes est vraiment un facteur déterminant de développement ?

C’est vrai que ce sujet fait débat. Historiquement, la France des années 1950-60 a connu un boom économique phénoménal alors que beaucoup de femmes n’avaient pas encore investi le marché du travail. Donc, ce n’est pas la seule condition de la croissance. Néanmoins, aujourd’hui, dans une économie moderne, éduquer les filles et permettre aux femmes qualifiées de travailler est clairement un avantage. Chaque médecin, ingénieure, professeure qui exerce, c’est une richesse pour le pays.

L’inverse – laisser des millions de femmes diplômées au foyer par manque d’opportunités ou de moyens de garde – c’est un gâchis de potentiel humain.

La solution, encore une fois, c’est de s’inspirer des modèles qui marchent tout en respectant les valeurs locales. Dans les pays nordiques (Danemark, Suède, Norvège…), ils ont mis en place tout un arsenal pour favoriser la conciliation travail/famille. Par exemple, en Suède, les parents (père et mère) ont droit à 480 jours de congé parental rémunéré à partager, et les crèches sont abordables et de qualité.

Résultat : près de 80 % des femmes suédoises en âge de travailler ont un emploi, sans que cela n’empêche d’avoir des enfants (le taux de fécondité suédois est l’un des plus hauts d’Europe).

Les Nordiques ont prouvé qu’on peut avoir un taux d’activité féminin élevé et soutenir la natalité. Ce qui est frappant, c’est que dans ces pays, les femmes ne dépendent pas financièrement des maris : chacun a des droits individuels, un salaire, une retraite à soi. Ce niveau d’égalité correspond à un idéal de justice (et quelque part, à l’esprit de l’islam originel qui valorisait déjà l’éducation des filles et l’autonomie financière – la khadija businesswoman, tu connais).

Pour l’Algérie 2040, on peut imaginer un schéma où les femmes qui le désirent peuvent travailler et faire carrière, avec l’appui de l’État (garderies, aménagements horaires, protection sociale) et la compréhension des entreprises (horaires flexibles, télétravail pour les mères, etc.).

Dans le même temps, celles qui choisissent de se consacrer à leur famille ne seraient pas pénalisées : par exemple, on pourrait accorder des pensions de retraite pour les mères au foyer en reconnaissant que leur travail domestique a une valeur pour la nation.

L’essentiel est d’avoir le choix et de ne pas gâcher le potentiel d’une génération ultra-éduquée. À ce titre, l’Algérie a déjà beaucoup progressé : plus de 60 % des étudiants universitaires sont des femmes, et on voit de plus en plus de cheffes d’entreprise, de pilotes de ligne, de chercheuses.

En 2040, je suis sûr qu’on aura des ministres, des PDG, des rectrices d’université en Algérie, tout en respectant la culture du pays. Un développement harmonieux inclut tout le monde, hommes et femmes, chacun contribuant selon ses capacités.

Stop à l’exode des cerveaux !

Un des problèmes qui t’inquiètent à juste titre, c’est l’exode des cerveaux. Trop de jeunes diplômés algériens rêvent d’ailleurs, et beaucoup partent effectivement, privant le pays de talents précieux. Les chiffres font mal : on estime que plus de 15 000 médecins algériens exercent aujourd’hui en France ! Oui, tu as bien lu, quinze mille.

C’est énorme quand on y pense : c’est quasiment un médecin sur trois formé en Algérie qui part soigner à l’étranger. Dans certaines spécialités, c’est encore pire : les cardiologues, psychiatres, néphrologues algériens filent en masse en France, faute de conditions suffisantes à l’hôpital public chez eux. Et ce ne sont pas que les médecins : les ingénieurs IT vont au Canada ou en Allemagne, les profs et chercheurs partent vers le Golfe ou l’Europe…

La saignée n’est pas nouvelle, elle existe depuis les années 1970, mais elle s’est aggravée. Pourquoi partent-ils ? Conditions de travail difficiles, manque de moyens, salaires peu compétitifs, et parfois un climat bureaucratique décourageant.

Quand un jeune voit qu’il galère à créer sa startup à Alger mais qu’il pourrait la lancer à Paris ou Dubaï avec moins d’embûches, il n’hésite plus. C’est une perte énorme : l’État algérien investit pour former des docteurs, des ingénieurs, et ce sont d’autres pays qui récoltent les fruits de cet investissement.

Alors comment faire pour vaincre ce mal d’ici 2040 ?

D’autres pays émergents y sont parvenus en partie, il faut s’en inspirer.

Prenons l’exemple de la Chine. Dans les années 1980-90, la quasi-totalité des étudiants chinois envoyés aux États-Unis y restaient.

On disait que 70 % des étudiants chinois ne rentraient jamais.

Mais à partir des années 2000, la Chine a lancé des programmes incitatifs (le plan des « 1000 Talents », etc.), construit des laboratoires ultra modernes, offert des salaires attractifs… Résultat : les retours ont augmenté.

Le taux de retour des étudiants chinois est passé de 14 % en 2002 à près de 30 % en 2006, et aujourd’hui la majorité finissent par revenir au pays avec une expérience internationale. Ils appellent ça le « brain regain ».

L’Inde aussi a connu ça : beaucoup d’ingénieurs indiens partis à Silicon Valley reviennent maintenant créer des startups à Bangalore ou Mumbai, parce que l’écosystème local est devenu dynamique (et puis la vie est moins chère et plus agréable chez eux, en fait).

Des pays plus petits y arrivent : Taïwan, dans les années 1980, a activement fait revenir ses docteurs en leur donnant des postes de profs, du financement pour lancer des entreprises de hardware (et ça a donné Acer, TSMC, etc.).

Pour l’Algérie, la première chose c’est d’améliorer les conditions sur place.

Par exemple, pour garder les médecins : il faut équiper les hôpitaux, payer correctement les spécialistes, leur offrir un plan de carrière clair, et abolir des mesures contre-productives (un exemple, le service civil obligatoire mal encadré a poussé des centaines de jeunes médecins à s’expatrier après 2018).

Ensuite, créer un climat entrepreneurial excitant : si un ingénieur voit qu’il peut monter sa boîte de logiciels en Algérie et toucher un marché régional, il restera. Ça passe par faciliter l’accès aux financements, protéger le droit de propriété intellectuelle, offrir des avantages fiscaux aux startups, etc (on a parlé de la fiscalité hyper attractive à mettre en place).

Une autre idée : développer un réseau diaspora.

Beaucoup de cerveaux partis seraient prêts à aider depuis l’étranger ou à revenir périodiquement.

On pourrait imaginer en 2040 des technopôles où des experts de la diaspora viennent donner des formations courtes, encadrer des projets de recherche, ou investir aux côtés de locaux. Le mentorat international peut être hyper bénéfique.

Des pays comme Israël (moi je parle de la Palestine occupée) ont très bien utilisé leur diaspora scientifique aux États-Unis : sans qu’ils rentrent forcément définitivement, ils collaborent sur des projets, montent des joint-ventures, et transfèrent du savoir.

L’Algérie pourrait faire pareil : organiser chaque année un forum des compétences algériennes à l’étranger, où on invite 200 experts algériens de renommée mondiale à Alger pour qu’ils rencontrent des ministres, des étudiants, des industriels locaux, et qu’ils montent des projets ensemble. Ça a déjà été tenté modestement, mais il faut amplifier.

Enfin, arrêter de voir ceux qui partent comme des “traîtres” ou je ne sais quoi : au contraire, il faut leur dire “vous êtes les bienvenus si vous revenez ou même si vous voulez contribuer de loin”.

En 2040, j’imagine une Algérie qui aura réussi à faire revenir une partie de ses talents. Peut-être pas tous, soyons réalistes, mais si déjà la moitié des meilleurs ingénieurs/docteurs restent ou reviennent, ce sera un tournant majeur. Cela demande de rendre le pays attractif, stable, et d’offrir des perspectives : on y revient encore, tout est lié à la situation économique globale et au climat d’investissement.

Un écosystème entrepreneurial en ébullition

Parlons justement d’entrepreneuriat. C’est certainement une des clés du succès d’ici 2040. L’Algérie a longtemps eu une économie dominée par l’État et les grandes entreprises publiques, mais on voit émerger depuis quelques années une nouvelle génération d’entrepreneurs, notamment dans le digital. Si on joue bien le coup, l’Algérie pourrait devenir un hub africain pour les startups, les tech et l’innovation.

Atouts ? Il y en a plein.

D’abord, un marché intérieur de plus de 45 millions d’habitants aujourd’hui, sans doute près de 55 millions en 2040. Ça fait du monde, ça, comme clients potentiels !

C’est le plus grand marché du Maghreb, et l’un des plus grands d’Afrique.

Un entrepreneur, ça le rassure de savoir qu’il peut tester son produit à grande échelle dans son pays avant d’aller à l’export. Ensuite, la jeunesse éduquée dont on a parlé : chaque année, des centaines de milliers de diplômés sortent des facs et écoles algériennes. On a des codeurs, des ingénieurs réseaux, des designers graphiques, des commerciaux… Un vivier de talents qui ne demande qu’à être mobilisé.

La diaspora aussi est un atout : beaucoup de Franco-Algériens bossent dans la tech à Paris, à Montréal, à Dubaï. Ils connaissent les dernières tendances. Si l’environnement s’améliore, certains rentreront entreprendre ici, ou au moins investiront dans des boîtes algériennes.

Un autre atout : la position géographique. L’Algérie est à la croisée de l’Europe et de l’Afrique subsaharienne. Elle peut servir de plateforme pour rayonner sur l’ensemble du continent. Imagine des startups algériennes qui conquièrent le marché africain francophone (où la langue, héritage colonial, est la même qu’en Algérie) : y a un coup à jouer, car les Africains francophones sont parfois preneurs de solutions conçues par un pays culturellement proche plutôt que par un géant américain ou chinois. De plus, l’Algérie a de bonnes liaisons aériennes avec l’Europe (2 h de vol pour Marseille, 4 h pour Paris), donc un entrepreneur peut facilement faire l’aller-retour pour lever des fonds, rencontrer des partenaires.

Mais il faut être honnête : aujourd’hui, les freins sont réels.

L’indicateur Doing Business de la Banque Mondiale classait l’Algérie au 157e rang sur 190 en 2020 pour la facilité à entreprendre !!

Pas glorieux. Bureaucratie lourde, réglementation instable, difficulté à obtenir un crédit, lenteur judiciaire, etc.

Pour devenir un hub entrepreneurial en 2040, il faut renverser la table sur ces sujets.

Concrètement, il faudrait s’inspirer de pays qui ont fait un bond dans le classement Doing Business.

Par exemple, le Rwanda est passé de la 150e place à la 38e en une décennie : ils ont mis en place un guichet unique pour créer sa société en 24 h, digitalisé toutes les démarches administratives, sévèrement puni la corruption, etc.

La Géorgie (un petit pays du Caucase) a aussi réussi à entrer dans le top 10 mondial en déréglementant massivement et en simplifiant impôts et permis de construire.

L’Égypte et le Maroc ont fait des efforts aussi : le Maroc était 130e en 2010, il est monté 53e en 2020 grâce à des réformes sur le crédit, la protection des investisseurs, le commerce transfrontalier.

L’Algérie peut très bien faire la même chose, il n’y a rien d’impossible techniquement. Il faut juste la volonté politique.

Donc d’ici 2040, on pourrait voir une Algérie dans le top 50 des pays où il fait bon entreprendre. Qu’est-ce que ça changerait ? Eh bien, les investisseurs étrangers, au lieu d’hésiter, viendraient en confiance. Et les jeunes au lieu de chercher un poste de fonctionnaire sécurisant, se lanceraient plus volontiers dans l’aventure de créer une boîte, car ils sauront qu’ils ne seront pas étouffés par les charges et la paperasse.

Regarde déjà ce qui se passe malgré les obstacles : on a quelques success stories locales. La plus connue, c’est Yassir, une startup fondée par de jeunes Algériens en 2017, qui est devenue un “super-app” de mobilité et services (un peu le Uber algérien, avec livraison de repas, paiement mobile, etc.).

En 2022, Yassir a levé 150 millions de dollars auprès d’investisseurs américains, du jamais vu pour une startup d’Afrique du Nord ! Aujourd’hui sa valorisation approche le milliard de dollars (ils sont peut-être déjà licorne d’ailleurs).

Et Yassir s’est étendu à d’autres pays (Maroc, Tunisie, France, Canada…). Ce genre de réussite montre le potentiel. Il y a aussi une scène tech algérienne émergente dans le e-commerce, la fintech (paiement électronique, etc.), l’agritech (applis pour agriculteurs)… Le gouvernement a créé un Fonds d’investissement pour les startups, organisé des « Algeria Startup Challenge », etc. C’est encourageant, mais il faut amplifier.

Imaginons une Algeria Tech 2040 (clin d’œil à Vision 2030 d’autres pays) où Alger serait un pôle technologique avec des incubateurs géants, des campus high-tech, des événements style CES d’Alger.

L’Algérie pourrait devenir la Silicon Valley de l’Afrique du Nord si elle attire les meilleurs développeurs de la région. Les atouts sont là : multilinguisme (arabophone, francophone, de plus en plus anglophone), coût de la vie plus bas qu’en Europe, soleil, et un capital sympathie pour les talents étrangers du monde arabe ou africain qui pourraient venir bosser en Algérie si l’environnement est bon.

En somme, l’entrepreneuriat, c’est le moyen de transformer l’économie algérienne en profondeur. En 2040, j’espère qu’on verra des champions “Made in Algeria” dans plusieurs domaines : pourquoi pas un équivalent algérien de Amazon pour l’Afrique, un géant des jeux vidéos ou de l’animation (avec la culture riche du pays, y a de quoi faire), ou encore un constructeur de drones ou de voitures électriques local (soyons fous, on reparle industrie auto plus loin). Pour y arriver, le chemin passe par former, libérer les énergies, connecter aux marchés mondiaux, et ne plus décourager les bonnes volontés par des tracasseries.

Sécurité alimentaire : le grand chantier

On ne peut pas parler d’avenir sans parler de sécurité alimentaire.

Les Algériens se souviennent des pénuries du passé, et la guerre en Ukraine en 2022 a rappelé à quel point dépendre de l’importation de blé était dangereux (quand les cargos ne partent plus de la mer Noire, c’est toute la filière pain qui tremble). L’Algérie importe encore massivement ses céréales, ses laits, ses sucres… Ce n’est pas tenable à long terme, et les décideurs le savent. Le président actuel a même déclaré que parvenir à l’autosuffisance en blé dur d’ici 2025 était un objectif national.

Où en est-on ? Donnons quelques chiffres pour fixer les idées. L’Algérie est l’un des plus gros importateurs de blé au monde, généralement dans le top 5. En 2024-25, le pays devrait importer environ 9,2 millions de tonnes de blé. Selon l’USDA, c’est le 4e plus gros importateur mondial après l’Égypte, l’Indonésie et l’UE.

La consommation nationale de blé avoisine les 12 millions de tonnes par an, alors que la production locale tourne autour de 3 millions dans les bonnes années !

Autrement dit, on produit seulement 25 % de nos besoins en blé, et on en importe 75 %. Ça, c’est le talon d’Achille. D’ailleurs, c’est culturel : l’Algérie est le 2e plus grand consommateur de pain au monde per capita, juste derrière la Turquie ! Un Algérien moyen consomme 110 kg de pain par an, c’est énorme. Forcément, il faut la farine qui suit.

Le gouvernement a lancé des programmes comme le PNDA (Plan National de Développement Agricole) il y a déjà 20 ans pour booster la production, avec des résultats mitigés. Il y a eu quelques succès sur des filières (les légumes, la pomme de terre où l’Algérie est quasi autosuffisante désormais), mais pas de miracle pour les céréales.

Pourquoi ?

Climat difficile, sécheresses fréquentes, rendements faibles. Sur la bande littorale, les terres sont fertiles mais limitées en superficie, et dans l’intérieur, c’est sec. Un chiffre marquant : le rendement moyen en blé en Algérie est autour de 1,4 tonne par hectare seulement, bien loin des 7 t/ha qu’on voit en Europe.

Cependant, il y a de l’espoir avec l’agriculture saharienne sous pivot d’irrigation. Plusieurs projets pilotes dans le sud (à El Oued, Ouargla, etc.) ont montré qu’en irriguant bien, on peut atteindre des rendements records de 50 à 60 quintaux par hectare (soit 5 à 6 t/ha) dans le Sahara.

C’est comparable aux rendements canadiens ou ukrainiens. Évidemment, ça demande de l’eau (pomper la nappe, ou dessaler de l’eau de mer plus au nord, etc.), et de l’électricité pour faire tourner les pivots.

Mais l’Algérie a de grands aquifères fossiles dans le Sahara, et si elle investit dans du solaire pour alimenter les pompes, ça peut être un game-changer.

Le pays a déjà annoncé des projets pharaoniques : par exemple 500 000 hectares de nouvelles terres agricoles dans le sud d’ici 5 ans. Une société algéro-italienne (le groupe B.F. Spa associé à un investisseur public algérien) développe des fermes géantes dans les Hauts Plateaux pour le blé dur, avec 420 millions de $ investis.

L’idée est de doubler, voire tripler la production céréalière nationale dans la prochaine décennie. Selon un rapport du Département US de l’Agriculture, l’Algérie pourrait devenir premier producteur de blé du Maghreb dès 2024 en atteignant 3 millions de tonnes. Bon, 3 Mt ce n’est pas révolutionnaire, mais c’est un signal de progression (à comparer aux 2,5 Mt du Maroc en 2023, car eux ont eu une grosse sécheresse).

Donc d’ici 2040, on peut tout à fait envisager une Algérie qui atteigne l’autosuffisance en blé dur (utilisé pour les pâtes et couscous) et réduise fortement ses importations de blé tendre (pain).

Peut-être pas une autonomie complète, car produire du blé tendre sous climat aride reste compliqué – ces variétés aiment l’humidité. Mais si déjà on importait 3 ou 4 Mt au lieu de 9, l’indépendance alimentaire serait beaucoup moins menacée.

Au-delà du blé, il y a la poudre de lait (des centaines de millions $ importés par an), le sucre (près d’1 milliard $ importé), les huiles végétales

Le gouvernement encourage la relance de la culture de la betterave sucrière et de la canne dans le sud, et des oléagineux (colza, tournesol) localement. Ce sont des pistes à poursuivre. Un autre levier : la réduction du gaspillage et l’éducation alimentaire. L’Algérien consomme énormément de pain parce que c’est presque gratuit (subventionné), et du coup en jette beaucoup.

En 2040, il faudra peut-être accepter d’ajuster les subventions pour éviter le gâchis, tout en aidant vraiment les plus pauvres via un ciblage.

Redevenir le grenier à blé de l’Afrique : ce rêve n’est pas si fou historiquement.

Au temps de Rome et même au temps de Napoléon 1er, l’Algérie exportait du blé, c’était un grenier à blé.

Aujourd’hui, la donne climatique est différente, mais la science et la technologie peuvent compenser. On peut s’inspirer du Brésil, qui a conquis de nouvelles terres (le Cerrado) en les rendant fertiles grâce à la recherche agronomique (amendement des sols acides, variétés adaptées, etc.).

L’Algérie pourrait lancer un grand plan national “Green Algeria” pour transformer certaines zones du sud en zones agricoles high-tech.

Par exemple, utiliser la géothermie pour cultiver sous serre dans le désert (certains projets privés font pousser des fraises dans le Sahara !). Ou même s’intéresser à l’agriculture marine (cultiver des algues comestibles ou pour la pharmacologie, dans la Méditerranée). En 2040, la sécurité alimentaire ne sera pas juste « produire du blé », ce sera aussi diversifier l’agriculture, investir dans l’élevage (aujourd’hui on importe beaucoup de viande rouge congelée), et assurer une capacité de résilience en cas de choc externe.

Mais je veux insister sur un point : tout cela ne sera possible qu’avec des investissements massifs et une modernisation du secteur. L’agriculture algérienne doit passer d’une agriculture souvent traditionnelle et peu rentable à une agriculture productive et intelligente.

Cela veut dire mécanisation, irrigation, semences améliorées, et aussi data et IA (oui, l’agritech, avec des capteurs dans les champs pour optimiser l’eau, des drones pour surveiller les cultures…).

On voit poindre des startups algériennes qui proposent des services aux agriculteurs via smartphone – en 2040 ce sera généralisé. Le gouvernement aura un rôle clé pour financer des infrastructures (barrages, canaux, usines de dessalement, silos de stockage) et inciter les banques à prêter au secteur agricole.

Un eldorado pour les investisseurs étrangers ?

L’Algérie, si elle réalise toutes ces transformations, deviendra un véritable eldorado pour les investisseurs étrangers. Déjà sur le papier, elle a de quoi attirer : c’est la plus grande économie d’Afrique du Nord (PIB autour de 170 milliards $), le pays le plus peuplé de la région après l’Égypte, un État sans quasiment aucune dette extérieure (seulement 1,3 % du PIB ! c’est rarissime, la plupart des pays doivent des dizaines de % du PIB aux créanciers étrangers).

En plus, l’Algérie dispose d’importantes réserves de change – environ 70 milliards de $ fin 2023 – grâce aux revenus des hydrocarbures, ce qui la rend financièrement stable et capable de soutenir sa monnaie. Pour un investisseur, ça compte : cela signifie qu’il y a peu de risques de crise financière soudaine ou de défaut de paiement du pays.

Autre atout mentionné : la position géographique stratégique au cœur du Maghreb, avec 1200 km de côtes sur la Méditerranée. Un investisseur qui produit en Algérie peut exporter facilement vers l’Europe (en bateau c’est 2-3 jours de transit jusqu’à Marseille ou Gênes) et aussi vers l’Afrique (surtout quand le grand port d’El Hamdania sera prêt, on en parle juste après).

L’Algérie a d’ailleurs adhéré à la Zone de libre-échange africaine (ZLECAf) en 2020, ce qui veut dire qu’elle élimine progressivement les barrières douanières avec les autres pays africains. Un industriel étranger pourrait donc installer une usine en Algérie et accéder sans tarifs douaniers à un marché africain de plus d’un milliard de consommateurs. Pas négligeable !

N’oublions pas les ressources naturelles abondantes. Outre le pétrole et le gaz, il y a des minerais (fer, phosphate, or, zinc, terres rares possiblement), du soleil, du vent… Un investisseur dans le secteur de l’énergie renouvelable trouverait l’un des meilleurs gisements solaires du monde ; un investisseur dans la chimie a du gaz pas cher pour matière première ; dans la sidérurgie, du minerai de fer et de l’énergie ; dans le tourisme, d’immenses plages vierges et le désert le plus spectaculaire du monde. Franchement, l’Algérie a un potentiel énorme qui n’attend que d’être valorisé.

Alors pourquoi aujourd’hui il n’y a pas foule ?

Principalement à cause du climat des affaires historiquement compliqué (on l’a abordé).

Longtemps, la règle du 51/49 imposait qu’un étranger ne puisse pas détenir la majorité d’une entreprise en Algérie, ce qui en a freiné plus d’un. Cette règle a été assouplie récemment dans beaucoup de secteurs.

En 2040, on peut imaginer qu’elle ne soit plus qu’un souvenir et que l’Algérie affiche au contraire un visage accueillant, avec des guichets spéciaux pour les investisseurs, des zones franches, etc.

Pour les attirer, le pays doit raconter une nouvelle histoire. Par exemple, l’Arabie Saoudite a su ces dernières années se présenter comme un pays en transformation radicale (Vision 2030) et a ainsi drainé des dizaines de milliards d’investissements dans le tourisme, les nouvelles technologies, le sport…

L’Algérie doit faire pareil : communiquer sur ses réformes, sur ses success stories locales, sur la stabilité de son cadre macro-économique. Je pense notamment qu’elle pourrait mettre en avant le fait qu’elle est l’un des rares pays de la région à n’avoir pas connu de chaos lors du Printemps Arabe, et qu’elle poursuit des changements de manière pacifique (les manifestations de 2019 ont abouti à une transition plutôt calme et institutionnelle).

C’est un gage de stabilité politique que de nombreux investisseurs apprécient, surtout comparé à la Libye ou même aux troubles qu’a connus la Tunisie.

Un autre argument choc : l’Algérie offre un retour sur investissement potentiellement très élevé parce que beaucoup de secteurs sont sous-exploités. Un dollar investi dans l’agriculture, l’industrie ou le tourisme en Algérie peut rapporter gros car tout est à faire. On manque d’usines de transformation, de centres logistiques, d’hôtels, etc. En Espagne ou en Turquie, les marchés sont saturés, la concurrence féroce. En Algérie, un investisseur peut plus facilement prendre une place de leader sur un segment. C’est ce qui a attiré récemment des groupes comme Fiat/Stellantis, ou Huawei, ou les cimentiers asiatiques – ils voient un énorme potentiel de croissance comparé à des marchés matures.

Bref, en 2040, j’imagine bien une Algérie classée parmi les destinations phares pour l’investissement en Afrique, aux côtés (ou même devant) l’Égypte et le Maroc, du fait de sa taille et de ses réformes. “Algeria is open for business”, comme on dit. Et ça, ce sera bénéfique pour tout le monde : plus d’investissements, c’est plus d’emplois, plus de transfert de technologies, plus de recettes fiscales pour l’État, etc.

Industrialisation : du tout-import au Made in Algeria

Le talon d’Achille de l’économie algérienne depuis l’indépendance, c’est la dépendance aux importations. On vend du gaz et du pétrole brut (peu transformés) et on importe presque tout le reste : machines, voitures, médicaments, appareils électroménagers, matières premières agro, etc. C’est un mauvais calcul sur le long terme, car on exporte des produits peu chers et on importe des produits finis coûteux – donc on perd de la valeur ajoutée.

Pour faire simple, 1 baril de pétrole brut vaut, disons, 80 $, mais ce même pétrole transformé en plastique ou en produits chimiques peut valoir 5 fois plus. De même, exporter du phosphate brut rapporte peu, alors qu’en faire de l’engrais c’est plus rentable.

Pendant les années 2000-2010, la facture d’importations de l’Algérie a explosé grâce (ou à cause) de la rente : on a importé des voitures par centaines de milliers, des biens de consommation, parfois de luxe. En 2014, quand le pétrole a chuté, on s’est réveillés avec des déficits extérieurs énormes. Ça a été le déclic pour dire “il faut produire plus chez nous”. On voit depuis quelques années des efforts pour réduire la facture. Par exemple, les importations alimentaires ont un peu baissé car la production de lait en poudre reconstitué localement a augmenté, des usines d’huile ont été installées, etc.

Les chiffres récents montrent une légère amélioration : les exportations hors hydrocarbures, bien que faibles, ont triplé depuis 2017 pour atteindre 5 milliards $ en 2023 (soit environ 2 % du PIB, ce n’est pas énorme mais la tendance est encourageante). Parmi ces exportations hors pétrole, il y a principalement les engrais (les usines de fertilisants à base de gaz) qui comptent pour près de 4 milliards $, puis des produits sidérurgiques (l’acier de Tosyali à Oran), du ciment, un peu d’agroalimentaire (sucre). C’est encore modeste, mais on sent la volonté de diversifier.

L’objectif pour 2040, ce serait d’avoir un véritable tissu industriel national capable de fournir le marché local et même d’exporter dans la région. Devenir une puissance industrielle du calibre de la Turquie, par exemple. La Turquie est un bon modèle : en 1980 c’était un pays assez fermé et agricole, aujourd’hui c’est une usine du monde dans beaucoup de domaines (textile, électroménager, automobile, acier…). Comment ont-ils fait ? Ils ont libéralisé l’économie, attiré les investisseurs européens, mis le paquet sur la formation de la main d’œuvre, et profité de la proximité avec l’UE pour se positionner en fournisseur.

L’Algérie peut suivre une trajectoire similaire, mais il y a des freins à lever.

Le premier, c’est la mentalité “tout doit venir de l’État” héritée du socialisme des années Boumediene. Encore aujourd’hui, beaucoup pensent que l’État doit créer directement les usines, les emplois, etc. Or l’État n’est pas toujours le mieux placé pour faire tourner une industrie de manière efficace. Il doit plutôt créer les conditions (infrastructures, énergie pas chère, incitations fiscales) et laisser le secteur privé local ou étranger investir. Ça, c’est un changement de paradigme qui a commencé timidement (privatisations partielles, partenariats publics-privés) mais qui doit s’amplifier. Le frein bureaucratique va avec : les lenteurs administratives, l’instabilité des lois découragent les industriels. Si tu montes une usine et qu’en cours de route la loi fiscale change trois fois, c’est l’enfer. Donc stabilité et simplification, encore une fois.

Le second frein, c’est le coût du travail et la productivité. Paradoxalement, malgré les salaires pas très élevés en Algérie, la productivité est parfois faible comparée à d’autres pays, à cause d’organisations pas optimales, de la formation insuffisante, etc. On entend souvent dire (à tort ou à raison) que “les Algériens ne sont pas productifs” ou qu’ils ont la “fiesta” facile. C’est un stéréotype un peu comme on le disait des Saoudiens avant leurs réformes.

En réalité, quand les Algériens travaillent dans un cadre motivant, ils excellent – on le voit bien chez ceux qui partent à l’étranger. Donc il faut motiver la jeunesse à travailler dans l’industrie en revalorisant l’image de l’ouvrier qualifié, du technicien. À une époque, aller bosser à l’usine était perçu comme dégradant par rapport à un emploi de bureau. Il faut changer ça en montrant que les usines d’aujourd’hui, c’est de la high-tech, de la robotique, que ça paye bien si on est qualifié.

L’éducation devra suivre : développer des instituts techniques, des écoles d’ingénieurs spécialisées, orienter des filières vers les besoins industriels (soudeurs, électromécaniciens, automaticiens, etc.). En Turquie, ils ont créé des “écoles anatoliennes des métiers” en lien avec les industriels pour fournir la main d’œuvre qualifiée rapidement.

Un autre frein, c’était l’accès à l’énergie pour l’industrie. Curieux dans un pays producteur, je sais, mais pendant longtemps tout le gaz était orienté vers l’export ou la consommation domestique. Désormais, Sonelgaz a beaucoup investi, et avec les énergies renouvelables à l’horizon 2040, il n’y aura plus de soucis pour alimenter les usines en électricité bon marché. L’Algérie pourrait même encourager des filières grosses consommatrices d’énergie (métallurgie, chimie) en leur garantissant un tarif préférentiel fixe sur 20 ans, par exemple.

Dans quels secteurs l’Algérie a des cartes à jouer ? L’automobile pour commencer : on avait raté le coche, mais en 2023 ça repart. Fiat a ouvert une usine à Oran qui vise 90 000 voitures/an d’ici 2026, avec 2 000 emplois et plus de 30 % de composants locaux.

Renault était présent puis a freiné, mais on pourrait le faire revenir. Chery et d’autres marques chinoises montent aussi des unités d’assemblage en Algérie. C’est un début, mais la stratégie doit être plus ambitieuse : pourquoi ne pas viser de devenir le hub automobile du continent ?

Il y a de la concurrence (le Maroc produit déjà 400 000 voitures par an, l’Afrique du Sud pareil), mais l’Afrique va être un énorme marché (1,7 milliard d’habitants en 2040). Si l’Algérie arrive à produire un véhicule robuste, abordable, adapté aux routes africaines, elle peut exporter par milliers. Pour attirer les constructeurs, il faudra des mesures fortes : par exemple, imposer progressivement une part locale de plus en plus élevée (histoire de développer les sous-traitants locaux de pièces), offrir des avantages fiscaux sur 10 ans aux usines qui s’installent, et moderniser les ports/routes pour qu’exporter soit facile.

On peut imaginer qu’en 2040, l’Algérie produise non seulement des voitures thermiques, mais aussi des véhicules électriques ou à hydrogène. La transition énergétique est une opportunité de prendre le train en marche. Peut-être une marque algérienne émergera ? Après tout, l’Iran a bien son constructeur (Iran Khodro), le Malaysia a Proton, etc. L’Algérie pourrait très bien avoir la sienne, appuyée par un partenariat étranger pour le savoir-faire.

Autre secteur : la pétrochimie. Au lieu de vendre juste du gaz, on commence à le transformer en engrais (déjà en cours), en plastiques (il y a le projet du complexe de propylène de Total à Arzew qui devrait voir le jour), en méthanol, etc.

En 2040, il faudrait que la majorité des hydrocarbures algériens soient exportés sous forme transformée à plus forte valeur ajoutée. L’ammoniac, l’urée (pour engrais) rapportent bien plus que le gaz brut. Idem pour le raffinage du pétrole : être autonome en carburants (arrêter d’importer de l’essence/diesel en construisant de nouvelles raffineries) et exporter éventuellement vers les voisins africains déficitaires.

Il y a aussi l’industrie minière qui peut décoller. Le fer de Gara Djebilet, gigantesque gisement dans le Sahara, commence tout juste à être exploité en partenariat avec les Chinois. D’ici 2040, on pourrait voir naître un complexe sidérurgique près de Tindouf alimenté par ce fer et du gaz local, produisant de l’acier pour toute l’Afrique.

Le phosphate de l’est (Tébessa) aussi : plutôt que de le vendre brut, développer la production d’engrais phosphatés ; un accord avec la Chine a été signé pour un méga-projet engrais à 6 milliards $. Si ça se concrétise, l’Algérie deviendra l’un des leaders mondiaux des fertilisants (c’est précieux en ce moment, cf. la crise alimentaire mondiale).

Il y a également l’industrie électronique/électroménager. On avait Condor, Iris, etc., qui assemblaient télés et frigos. Après des hauts et bas, ils peuvent rebondir avec plus de contenu local. D’ici 2040, peut-être verra-t-on des smartphones “made in Algeria” (une bonne partie de leurs composants pourraient être importés, soyons réalistes, mais l’assemblage local et pourquoi pas quelques composants comme la coque, la batterie localement fabriqués). Avec la progression du numérique, il y aura une demande énorme en Afrique pour les appareils électroniques bon marché : l’Algérie pourrait en produire pour son marché et l’export.

Un frein pour tout ça était aussi le financement : industrialiser demande des gros capitaux. L’Algérie ayant écarté presque toute dette extérieure, elle finance sur fonds propres d’État ou attend l’investisseur privé qui parfois hésite. Peut-être faut-il reconsidérer l’idée d’attirer des investissements directs étrangers massifs en offrant des garanties.

Les pays du Golfe ont des fonds colossaux qui cherchent des placements : pourquoi ne pas les inviter à construire des usines chez nous, en joint-venture avec des publics ? Pareil pour les fonds chinois (ils investissent en Éthiopie, au Pakistan, pourquoi pas chez nous si on les y autorise). Il faudra bien négocier pour protéger les intérêts nationaux, mais se fermer aux capitaux, c’est rester à la traîne.

En 2040, je vois bien une Algérie avec un secteur industriel pesant nettement plus qu’aujourd’hui (actuellement l’industrie manufacturière c’est < 10 % du PIB, il faudrait viser 20-25 %).

Des zones industrielles géantes modernisées à Alger, Oran, Constantine, Hassi Messaoud, etc., reliées par autoroutes et trains, où opèrent des usines tournées vers l’export. Si on réussit ça, le pays aura non seulement créé des millions d’emplois, mais en plus il aura équilibré sa balance commerciale même en dehors du pétrole. Le Made in Algeria sera peut-être un label reconnu en Afrique pour sa qualité et son bon rapport qualité/prix. Ça semble utopique vu d’aujourd’hui, mais regarde la Turquie ou même le Vietnam, personne n’aurait parié sur eux il y a 30 ans et maintenant on achète tous du “made in Turkey” ou “made in Vietnam” sans sourciller.

Des chiffres clés sur les importations

Je reviens sur les importations pour te donner quelques chiffres marquants, car tu as raison, c’est important de quantifier. En 2023, l’Algérie a importé pour environ 49 milliards de $ de biens. Ses principales importations ? Numéro 1 : le blé (oui, encore lui) pour 1,83 milliard $. Ensuite les voitures pour 1,58 milliard (avec l’assouplissement de 2023, le pays a recommencé à importer des véhicules neufs). Puis le lait concentré et poudre : 1,31 milliard. Puis le maïs grain (pour le bétail) : 1,07 milliard. Puis le sucre brut : 932 millions. Rien que ces cinq postes (blé, voitures, lait, maïs, sucre) représentent plus de 6 milliards $. Ce sont majoritairement des biens de consommation ou des intrants de base. L’Algérie importe aussi beaucoup de médicaments, de téléphones, etc., mais ces chiffres donnent une idée : on paye très cher en devises des choses de première nécessité qu’on devrait en partie produire.

Cela dit, grâce à la hausse temporaire des prix du pétrole/gaz en 2022-23, la balance commerciale algérienne est redevenue excédentaire. En 2023, les exportations de biens ont été d’environ 52 milliards $ (dont 90 % d’hydrocarbures). Et les importations de biens autour de 42 milliards. Donc on a eu un petit surplus qui a permis de regarnir les réserves. Mais cet équilibre reste fragile et dépend trop des cours du brut. En 2040, on veut un commerce extérieur équilibré même avec un pétrole bas, ce qui passera par la réduction de ces fameuses importations via la production locale.

Est-ce qu’on est dans la bonne direction ? Parfois oui, parfois non.

Exemple positif : la production de ciment. L’Algérie a construit de nombreuses cimenteries dans les années 2010 (avec Lafarge, etc.), résultat maintenant elle est auto-suffisante et même exportatrice nette de ciment.

Exemple négatif : les pièces détachées automobiles ou l’électronique, on importe toujours 90 % de nos besoins.

Autre réussite : les fruits et légumes frais, on est quasiment autosuffisants (voire excédentaires pour la pomme de terre).

Autre échec : on importe encore énormément de produits transformés alimentaires (yaourts haut de gamme, chocolats, boissons…) qui pourraient très bien être fabriqués localement. Tout cela commence à bouger avec l’arrivée de firmes comme Cevital ou d’autres qui investissent l’agroalimentaire.

Le PNDA dont tu parlais a eu des résultats mitigés : dans les années 2000, il a permis de replanter des vergers, de relancer un peu la céréaliculture par l’aide au matériel, etc. Mais beaucoup d’argent a été dépensé pour des rendements pas toujours au rendez-vous, faute de suivi et de reformes foncières (le problème du statut du foncier agricole freine l’investissement). On peut dire que le PNDA a posé des bases, mais il faudra un PNDA 2.0 ou 3.0 pour vraiment changer d’échelle. J’ai mentionné plus haut les tendances encourageantes (blé en hausse, etc.). On voit aussi un début de filière lait local (avec l’importation de vaches laitières et la construction de fermes modernes). Si on prolonge les courbes actuelles en amélioration, d’ici 2040 on pourrait par exemple réduire la facture céréalière de moitié, la facture laitière de moitié également, et ne plus importer de ciment ni de matériaux de construction, voire en exporter. C’est tout le mal qu’on souhaite au pays.

Le retour du “grenier à blé”

J’aimerais développer un peu plus cette idée de redevenir un exportateur agricole majeur parce que c’est un vrai rêve réalisable. Certes, le climat algérien est globalement sec, mais on a un avantage que peu de pays africains ont : de vastes espaces utilisables et un ensoleillement exceptionnel. Il y a des pays qui manquent de terres (l’Égypte n’a que la vallée du Nil par exemple), nous on a des terres, parfois difficiles d’accès, mais il y a de l’espace.

Pour redevenir le grenier à blé ou à autres cultures, il faudrait lancer des grands travaux d’aménagement comme l’Arabie Saoudite le fait ou l’Égypte avec son “Nouveau Delta”. Par exemple, l’Algérie pourrait construire un canal d’irrigation géant depuis le barrage de Beni Haroun dans l’Est pour irriguer les Hautes Plaines de Sétif et Batna qui ont un sol fertile mais manquent d’eau. Ou bien un projet de transfert d’eau du Sud vers le Nord, à l’image de la Libye qui avait fait la Grande Rivière Artificielle (des tuyaux amenant l’eau fossile du Sahara jusqu’à la côte). Ce genre de méga-projet coûte cher et soulève des questions environnementales, mais il peut transformer des régions entières. L’Algérie a commencé à investir dans le dessalement d’eau de mer pour l’eau potable, mais on pourrait imaginer d’ici 2040 des usines de dessalement dédiées à l’agriculture côtière (sous conditions, car l’eau dessalée coûte cher, mais avec du solaire gratuit ça peut passer).

D’autres idées : le développement de serres high-tech dans le Sud, comme le fait actuellement l’Arabie Saoudite ou les Émirats, pour produire des légumes et fruits hors-saison à grand volume. L’Algérie a déjà une “mer de serres” du côté de Biskra pour les tomates, aubergines, etc. – ça pourrait être multiplié par 10 avec les bonnes technologies (systèmes goutte-à-goutte, climatisation solaire, etc.). On peut aussi apprendre de pays comme les Pays-Bas (deuxième exportateur mondial de produits agricoles en valeur !) qui, malgré un petit territoire, dominent certaines filières grâce à l’agriculture de précision et aux serres.

Un secteur très prometteur c’est l’olivier et l’huile d’olive. L’Algérie a une tradition oléicole ancienne, mais a été dépassée par la Tunisie sur le marché de l’huile. Or il y a énormément de terres incultes qui conviendraient à l’oléiculture en sec ou semi-irrigué. Planter 100 millions d’oliviers d’ici 2040, c’est un projet ambitieux mais réalisable. Le Maroc a fait un plan olivier et en plante à tour de bras. L’huile d’olive algérienne pourrait devenir un produit d’export apprécié (la demande mondiale d’huile d’olive augmente, et avec le changement climatique, les grands producteurs européens comme l’Espagne souffrent de sécheresse – c’est le moment de prendre des parts de marché).

Même chose pour les dattes : on est déjà un gros producteur (le délicieux Deglet Nour du Zibans), mais l’export est timide. On peut améliorer le packaging, la logistique, pour inonder l’Asie de nos dattes premium (elles sont bien meilleures que les dattes iraniennes ou irakiennes).

En gros, l’Algérie a un potentiel agricole énorme s’il est bien exploité, non seulement pour nourrir sa population, mais aussi pour exporter vers les pays voisins qui seront plus peuplés et plus en manque (l’Afrique subsaharienne va devoir importer de plus en plus de nourriture). En 2040, on pourrait imaginer exporter du blé vers nos voisins sahéliens, du lait concentré vers l’Afrique de l’Ouest, du sucre, des fruits (déjà on vend des tomates et pommes de terre à la Mauritanie je crois). Ce renversement de situation ferait taire beaucoup de critiques et donnerait un pouvoir d’influence économique à l’Algérie dans la région (on traite mieux son fournisseur de blé que son concurrent qui en achète aussi, n’est-ce pas ?).

Le port géant d’El Hamdania : une porte sur le monde

Parlons un peu infrastructures stratégiques, notamment le fameux projet du port en eaux profondes d’El Hamdania, près de Cherchell. C’est un projet dont on parle depuis des années et qui semble enfin sur les rails grâce à un partenariat avec la Chine. Pourquoi ce port est crucial ? Parce qu’il serait le hub maritime dont manque l’Algérie. Actuellement, pour le commerce Asie-Europe, énormément de marchandises destinées à l’Algérie passent par Algésiras (Espagne) ou Tanger Med (Maroc), puis sont transbordées sur des plus petits bateaux vers Alger ou Oran. C’est un détour et un surcoût. Un grand port en eaux profondes, capable d’accueillir les porte-conteneurs géants directement, permettrait de désenclaver le pays.

El Hamdania est prévu pour recevoir jusqu’à 6,5 millions de conteneurs par an à terme (comme Tanger Med) et des navires de 18 000 EVP. S’il voit le jour, il pourrait devenir le 2ᵉ plus grand port d’Afrique du Nord après Tanger. Ses atouts : il est idéalement placé sur la route maritime Est-Ouest (circuit de Suez à Gibraltar). Les compagnies pourraient s’y arrêter pour desservir non seulement l’Algérie mais aussi la région. Avec l’appui chinois, il pourrait intégrer les routes de la Belt and Road Initiative – les Chinois y voient un moyen de consolider leur flux commercial en Méditerranée.

Comment peut-il battre ses concurrents ? Déjà en étant ultra-moderne, automatisé, avec une gestion efficiente (le défi sera de gérer ce port de façon moins bureaucratique que ceux actuels, sinon les armateurs ne viendront pas). Il faudra créer une zone économique spéciale autour du port, pour attirer des industries d’assemblage, de logistique. Tanger Med a réussi car ils ont couplé port + zones franches où des usines (Renault par ex.) se sont installées pour importer des pièces, assembler, et réexporter. L’Algérie peut faire pareil en mieux : la zone de Cherchell est plus vaste et on pourrait connecter le port par voie ferrée rapide aux grands centres (Alger n’est qu’à ~100 km).

Par ailleurs, El Hamdania pourrait servir d’écluse pour l’Afrique. Je m’explique : la Chine investit aussi au Niger, au Mali, etc., des pays enclavés. Si l’Algérie développe ses corridors routiers/transsahariens (le projet de route Alger-Lagos par exemple), le port de Cherchell pourrait expédier du matériel chinois vers l’intérieur du continent, ou exporter les matières premières africaines vers l’Asie en passant par l’Algérie. Cela positionnerait le pays en plateforme logistique majeure.

En 2040, on peut donc imaginer ce port fonctionnel, allégeant le trafic sur Alger qui est saturé. Il pourrait même détrôner Tanger Med en volume s’il est plus compétitif en coûts et si la conjoncture régionale évolue (par exemple si le Maroc reste en froid avec certains pays, ceux-ci préféreront Cherchell). Au final, ce port c’est plus que du commerce, c’est un atout géopolitique et économique : il ancre l’Algérie dans le commerce intercontinental, et potentiellement, il rapporte beaucoup de devises via les services portuaires.

Des trains à grande vitesse pour relier le pays

Dans la catégorie infrastructure de rêve, il y a aussi l’idée d’un réseau de trains à grande vitesse (TGV) en Algérie. Actuellement, on a une ligne de chemin de fer classique qui traverse d’est en ouest (Oran-Alger-Annaba), et quelques embranchements vers l’intérieur. Mais soyons honnêtes, le train algérien est lent et pas toujours fiable. Pour un si grand pays, le rail pourrait jouer un rôle bien plus important.

D’ici 2040, on pourrait très bien imaginer un TGV Alger-Oran qui mettrait les deux villes à 1h30 ou 1h45 de trajet (au lieu de 4h en auto ou 5h en train actuel). Pareil, un TGV Alger-Constantine-Annaba qui ferait Alger-Constantine en 2h et Alger-Annaba en 3h. Cela créerait une mégalopole linéaire le long du littoral, intégrant réellement le marché national. Un homme d’affaires pourrait faire l’aller-retour Oran-Alger dans la journée pour un rendez-vous, comme on le fait en France entre Paris et Lyon.

On voit bien ce que le TGV a apporté en France ou en Espagne : ça dynamise les échanges, désenclave des régions, et ça évite l’avion (donc c’est écologique sur du moyen terme). L’Algérie a la distance (400 km entre Alger et Oran) parfaite pour un TGV qui serait plus pratique que l’avion. Entre Alger et les grandes villes intérieures (Tiaret, Tlemcen, Ghardaïa, etc.), un réseau de train rapide (peut-être pas du TGV à 320 km/h partout, mais au moins du 200 km/h) serait un plus énorme pour l’unité du pays et le développement économique hors de la capitale.

Évidemment, c’est cher. Mais d’ici 2040, si l’économie a bien grandi, ce genre de projet devient finançable. Certains parlent déjà d’un TGV trans-maghrébin qui relierait Casablanca – Alger – Tunis. Ça serait fabuleux, mais politiquement il faut résoudre les tensions (on y vient juste après). Techniquement, ce n’est pas insurmontable : le Maroc a déjà son TGV de Tanger à Casablanca, qu’il compte prolonger vers Agadir. La Tunisie réfléchit à du train rapide aussi. Si entre-temps l’Algérie a modernisé sa ligne Est-Ouest, on pourrait raccorder tout ça. Et alors un voyageur pourrait aller de Casablanca à Tunis en train rapide via Alger, un peu comme on fait Londres-Paris-Bruxelles aujourd’hui. Ce serait un symbole fort d’intégration régionale et un coup de fouet pour le tourisme et les affaires.

Mais ne rêvons pas trop vite, déjà focalisons sur le national : un TGV Alger-Oran semble tout à fait envisageable techniquement (terrain côtier assez plat) et pourrait être construit en partenariat avec… les Chinois, par exemple, ou les Allemands. La Chine a le réseau à grande vitesse le plus étendu du monde, elle a proposé ses services à divers pays. Si on s’entend bien avec elle (et on s’entend bien vu les projets BRI), on peut la solliciter.

Un autre axe intéressant serait un train rapide vers le sud : Alger – Laghouat – Hassi Messaoud par exemple, pour désenclaver le Sahara. Mais priorité aux zones à forte population pour la rentabilité.

Donc en 2040, je nous souhaite de pouvoir prendre un TGV “El Djazair” flambant neuf, qui part de la gare d’Agha à 8h du matin et nous dépose à Oran à 9h30 pour prendre un café au front de mer. Ça paraît futuriste, mais ce sont exactement le genre de projets porteurs qui donneraient un signal de modernité du pays.

S’intégrer aux BRICS : une nouvelle stratégie internationale

Sur le plan géopolitique, tu as mentionné l’axe des non-alignés traditionnel de l’Algérie et la volonté d’entrer dans le club des BRICS. C’est un sujet crucial pour 2040 : comment l’Algérie s’insère dans le nouvel ordre économique mondial ?

Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ont entamé une expansion pour inclure de nouveaux pays émergents. L’Algérie a officiellement candidaté en 2022 pour en faire partie. Hélas, lors du sommet de Johannesburg en août 2023, elle n’a pas été retenue dans la première vague d’élargissement (six pays ont été invités : Arabie Saoudite, Iran, Éthiopie, Égypte, Émirats et Argentine). D’après certaines sources, il y aurait eu des vétos politiques en coulisses : on murmure que l’Inde, sous l’influence de la France, aurait bloqué la candidature algérienne – Paris n’aurait pas apprécié la montée en puissance d’Alger au Sahel ni son rapprochement avec Pékin, et aurait vu d’un mauvais œil son entrée dans un bloc potentiellement anti-occidental. Si c’est vrai, ça montre que le jeu d’influence est intense.

Mais tout n’est pas perdu : l’Algérie a obtenu en 2024 le statut de partenaire des BRICS+, et elle a adhéré en 2023 à la Banque de développement des BRICS (NDB) en y investissant 1,5 milliard $. Concrètement, ça veut dire qu’elle est déjà un pied dedans sur le plan financier. D’ici 2040, il y aura sûrement de nouvelles opportunités d’élargissement, et l’Algérie aura ses chances surtout si elle renforce certains points.

Quels atouts mettre en avant pour intégrer les BRICS ?

  • Le poids énergétique : l’Algérie est un fournisseur majeur de gaz (notamment pour la Chine qui commence à en importer via contrats LNG) et de pétrole. Dans un BRICS élargi, elle apporterait une sécurité énergétique, un peu comme l’Arabie Saoudite va le faire (et l’Algérie n’est pas en froid avec l’Iran, au contraire elle a des liens corrects, donc elle peut jouer le liant).

  • La position géographique : elle peut représenter l’Afrique du Nord et le pourtour méditerranéen, là où pour l’instant seuls l’Égypte et l’Éthiopie (Afrique de l’Est) sont dedans côté africains. Avoir l’Algérie, c’est donner plus de représentativité maghrébine et sahélienne au bloc.

  • L’influence diplomatique historique : Alger a un héritage de leader des non-alignés, de médiateur dans des conflits (elle a par exemple négocié la libération d’otages américains en Iran en 1981, joué un rôle au Mali, etc.). Un bloc comme les BRICS, qui se veut voix du sud global, pourrait valoriser cette tradition algérienne d’indépendance de ligne et de lutte anti-coloniale.

Faiblesses à corriger :

  • Trop dépendante des hydrocarbures : pour plaire aux BRICS, il faudrait montrer qu’on diversifie notre économie. Car les BRICS, ce n’est pas qu’un club politique, c’est aussi un club d’économies diversifiées (Chine, Inde notamment). Si en 2040 l’Algérie a une structure d’exportation plus variée (disons 50 % hydrocarbures, 50 % autres, au lieu de 90/10 actuellement), ce sera un argument : on sera vraiment une économie émergente multifacette et pas juste un rentier.

  • Volume du PIB : actuellement ~170 Mds$, c’est correct (3ᵉ du monde arabe hors Golfe, derrière l’Arabie Saoudite et l’Égypte). Mais en 2040, il faudra avoir bien augmenté ce PIB pour peser. Objectif plausible : atteindre 300-400 Mds$ de PIB, via croissance réelle et un peu d’inflation, sur 15 ans c’est faisable. Plus on sera “gros”, plus les BRICS nous voudront pour gonfler leur part du gâteau mondial.

  • Relations extérieures : il faudra soigner les liens avec les membres influents. La Chine et la Russie sont très favorables déjà. L’Inde a été un hic semble-t-il, donc peut-être intensifier le commerce et la coopération avec l’Inde pour la convaincre (l’Inde est gros importateur de pétrole, elle pourrait acheter plus de gaz algérien, on pourrait coopérer dans les fertilisants, etc.). Pareil pour le Brésil, qu’on ne néglige pas : lui aussi envisage de nouvelles sources d’énergie, l’Algérie pourrait offrir un partenariat sur l’ammoniac vert ou autre, qui sait.

Si l’Algérie réussit à intégrer les BRICS d’ici 2030 ou 2035, ce sera un changement d’échelle. Elle accédera à un marché commun potentiellement (les BRICS parlent d’une monnaie commune de réserve, de plus de commerce intra-BRICS). Elle pourra emprunter auprès de la NDB à taux avantageux pour ses projets d’infrastructure. Elle sera partie prenante des grandes décisions économiques du sud. En 2040, on peut l’imaginer coorganiser un sommet BRICS en Algérie, pourquoi pas ? Ce genre d’événement rehausserait son statut diplomatique.

D’ailleurs l’Algérie reste très attachée au non-alignement traditionnel : elle ne veut pas choisir entre l’Est et l’Ouest. Entrer aux BRICS ne veut pas dire tourner le dos à l’Europe, par exemple : ça pourrait même être un pont. L’Espagne ou l’Italie pourraient y voir une opportunité de commerce triangulaire. Ce qui est sûr, c’est qu’en 2040 le monde ne sera plus bipolaire comme avant, il sera multipolaire. L’Algérie a l’occasion de s’asseoir à la table des grands émergents pour faire entendre la voix de l’Afrique du Nord. Il faudra la saisir et ne pas se laisser marginaliser.

Influence africaine : leader régional ou repli sur soi ?

Au-delà des BRICS, qu’en est-il de l’influence de l’Algérie en Afrique ? Historiquement, Alger était un phare du tiers-monde, soutenant les mouvements de libération, etc. Ces dernières décennies, on a un peu replié le jeu, notamment face à un Maroc très offensif diplomatiquement sur le continent (le roi du Maroc a fait des dizaines de tournées en Afrique subsaharienne, signant moult accords, pendant que l’Algérie était plus discrète).

Alors, est-ce qu’on progresse ou on régresse ? En termes objectifs, on peut regarder quelques indicateurs. Diplomatiquement, l’Algérie a rouvert son ambassade en Libye, s’implique dans la médiation au Mali, et a accueilli en 2022 la réunion de réconciliation des factions palestiniennes – signe qu’elle veut rejouer un rôle d’arbitre. Elle a aussi augmenté son budget d’aide au développement pour les pays voisins (il y a eu des annonces d’investissements en Mauritanie, d’envoi d’aide alimentaire au Niger, etc.). Mais ça reste modeste. Le Maroc, de son côté, a rejoint la CEDEAO (Communauté économique ouest-africaine) en tant que membre observateur, a d’énormes investissements en Afrique de l’Ouest (banques, télécoms) et bien sûr son influence sur certains pays sur la question du Sahara Occidental. Sur ce dossier, l’Algérie maintient sa ligne de soutien au Polisario, ce qui l’oppose frontalement à Rabat et à nombre de pays africains qui ont basculé en faveur du Maroc. Sur ce plan, elle a clairement perdu du terrain : dans les années 1980, la majorité de l’OUA soutenait le Polisario, aujourd’hui c’est l’inverse, grâce au lobbying marocain appuyé par les pétro-dollars du Golfe.

Cependant, l’Algérie conserve un avantage stratégique : son armée puissante (la 2ᵉ d’Afrique en budget derrière l’Égypte, et la 1ʳᵉ en dépenses en 2024 avec plus de 21 milliards $, surpassant largement le Maroc qui est à ~6 Mds). Elle est perçue comme un pays stable militairement dans une région (Sahel) très troublée. Du coup, les pays voisins comme le Mali, le Niger (après leurs putschs) se tournent vers Alger comme un partenaire de sécurité. L’Algérie a une doctrine de non-intervention hors de ses frontières, mais elle n’en demeure pas moins un garant tacite de stabilité (ex : elle a massivement renforcé la surveillance à ses frontières pour éviter les infiltrations terroristes du Mali/Libye).

Indice d’influence : l’Algérie a été élue membre non permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU pour 2024-2025. Ça montre une reconnaissance diplomatique. Elle pousse certaines initiatives africaines, par exemple elle milite pour que l’UA (Union Africaine) obtienne un siège permanent à l’ONU, et pour effacer les dettes de certains pays pauvres, etc.

En 2040, on pourrait voir l’Algérie soit consolider sa place de leader maghrébin aux côtés (ou en rivalité) avec le Maroc, soit laisser filer. Ce qui fera la différence, c’est la puissance économique. Si l’Algérie réussit sa transformation et devient un géant économique diversifié, elle aura mécaniquement plus de poids qu’un Maroc ou qu’une Égypte en Afrique. Elle pourra faire du “soft power” via des investissements, de la culture (penser à exporter des films, de la musique algérienne – raï, etc. – il y a un potentiel) et via ses diasporas.

Dangers à surveiller : qui sont ses adversaires ? Sur le plan régional, clairement le Maroc reste le concurrent direct en termes d’influence (chacun essaie d’amener les pays africains dans son camp sur la question du Sahara et sur les partenariats économiques). Il y a aussi des adversaires non-étatiques : les groupes terroristes au Sahel qui voudraient déstabiliser la région nord. L’Algérie devra être vigilante à sa frontière sud car si les pays du Sahel s’enfoncent dans le chaos, ça peut finir par déborder.

Elle devra aussi naviguer entre les grandes puissances mondiales qui cherchent à s’affirmer en Afrique : la Chine, la Russie, la Turquie, et bien sûr les anciennes puissances coloniales (France, etc.). Là, l’Algérie a commencé à diversifier ses alliances (rapprochement avec la Turquie d’Erdogan, avec l’Italie pour le gaz, etc.), ce qui est habile. En 2040, l’Algérie sera peut-être un pivot qui discute avec tout le monde : Chine et USA, Iran et Arabie, France et Russie. Cela rappelle un peu la Yougoslavie de Tito qui jouait tous les camps, ou l’Inde actuellement. C’est une bonne posture si on a les moyens de l’indépendance, mais gare à ne pas s’isoler d’un camp au point de subir des pressions.

Où sera l’Algérie en 2040 sur la scène africaine ? Si tout se passe bien, elle pourrait être un incontournable pour la sécurité régionale (par exemple, leader d’une initiative sahélienne, ou base logistique pour des opérations de maintien de la paix africaines). Elle pourrait aussi être un partenaire économique clé pour l’Afrique de l’Ouest si elle intègre davantage la ZLECAf, en exportant du gaz, de l’électricité (qui sait, un jour du courant solaire algérien pourrait alimenter le Niger ou le Nigeria via des lignes haute tension !). Elle aura peut-être construit la route transsaharienne Alger-Lagos qui traîne depuis des décennies, ouvrant un axe commercial vital. Ce serait un coup énorme : imagine des camions partant du port de Cherchell, traversant Tamanrasset, Agadez et arrivant à Lagos en quelques jours sur une route sécurisée : ça changerait la donne des échanges Afrique-Europe (plus besoin de passer par Suez pour certaines marchandises, elles iraient par la route jusqu’en Algérie puis bateau jusqu’en Europe).

Enfin sur l’influence pure : l’Algérie peut miser sur la culture (elle commence à produire de bons films, séries, qui peuvent tourner en Afrique et Moyen-Orient), le sport (organiser des CAN, comme en 2025, ou des tournois régionaux, ça compte dans le soft power), et sur sa diaspora en Afrique (pas très grande comparée à celle du Maroc, mais il y a des cadres algériens un peu partout, par ex en Côte d’Ivoire, au Sénégal – les mobiliser dans une communauté peut aider).

En somme, en 2040 j’espère qu’on pourra dire que l’Algérie est un pilier de l’Afrique et non un pays replié sur son gaz. Qu’elle aura su surmonter les dangers (terrorisme, instabilité chez les voisins) et en faire des opportunités (participer activement à stabiliser le Mali et la Libye, ce qui lui donnerait du crédit).

Alger et Rabat : vers la réconciliation ?

L’histoire est pleine d’ennemis héréditaires qui finissent par se serrer la main (France-Allemagne en sont le meilleur exemple : ils se sont fait 3 guerres en 70 ans, et depuis 60 ans ils sont les meilleurs alliés d’Europe).

Aujourd’hui, soyons clairs, les relations Alger-Rabat sont au plus bas : frontière terrestre fermée depuis 1994, rupture officielle des relations diplomatiques en 2021, rhétorique hostile de part et d’autre. La cause principale : le Sahara Occidental et plus récemment, l’alignement du Maroc avec Israël/USA qui a exaspéré Alger.

Tant que les dirigeants actuels, qui ont vécu la guerre froide et les conflits, sont aux manettes, la méfiance restera énorme. Mais en 2040, ces dirigeants ne seront plus là. Une nouvelle génération, moins marquée par les idéologies du XXᵉ siècle, pourrait avoir une approche pragmatique.

Imaginons que vers 2030, la question du Sahara trouve un début de règlement ou au moins un compromis (par exemple, le Maroc et le Polisario signent un accord d’autonomie large, sous médiation onusienne où pourquoi pas la Chine ou un pays neutre fait le facilitateur). L’Algérie pourrait alors dire : “ok, nous avons obtenu que le peuple sahraoui ait des garanties (via l’autonomie ou un référendum de confirmation), on peut tourner la page.” De l’autre côté, le roi du Maroc (ou son successeur) pourrait dire : “on a sécurisé notre intégrité territoriale, on n’a plus de raison de bouder nos frères algériens.” Je sais, ça semble idéaliste. Mais regarde l’Arabie Saoudite et l’Iran : ils se faisaient la guerre froide via proxies depuis des décennies, et bam, en 2023, la Chine les fait signer un rétablissement de relations. Comme quoi, tout est possible diplomatiquement.

Si Alger et Rabat rouvraient la frontière et coopéraient, ce serait un game-changer pour le Maghreb. Concrètement :

  • Économiquement, un marché commun de 100 millions d’habitants (Algérie+Maroc+Tunisie) verrait le jour. Les échanges exploseraient. Aujourd’hui, le commerce entre nos pays est ridiculement bas (< 5 % du commerce total). Demain, on pourrait voir des camions de textiles marocains aller vendre en Algérie sans droits de douane, et du gaz algérien alimenter des usines au Maroc, etc., dans un vrai scénario de complémentarité. Un rapport de l’ONU estimait que l’Union du Maghreb non réalisée nous coûte 2 points de PIB de croissance par an. Donc en 2040, si on la réalise, on aura un boom économique maghrébin.

  • En termes d’infrastructures : on parlait du TGV trans-maghrébin plus haut, qui serait possible seulement en cas de normalisation. Aussi le projet de gazoduc Maroc-Nigéria qui doit passer par l’Algérie pourrait se faire conjointement au lieu d’être en concurrence avec le projet algérien (il y a deux routes en compétition en ce moment). Ensemble, on pourrait mutualiser.

  • Tourisme : un étranger pourrait faire un circuit Marrakech-Oran-Tunis sans tracas, profitant de la diversité fabuleuse de la région. Actuellement, beaucoup de touristes vont soit au Maroc soit en Tunisie, rarement en Algérie car isolée. Un visa maghrébin unique comme le visa Schengen, et hop, l’Algérie intégrerait davantage les circuits touristiques internationaux.

  • Sécurité : fini les dépenses astronomiques en armement par peur l’un de l’autre (aujourd’hui Algérie et Maroc dépensent ensemble plus de 35 milliards $ par an en armée, c’est fou). On pourrait rediriger une partie de cet argent vers le développement. On pourrait coopérer contre le terrorisme au Sahel ensemble, ce qui serait beaucoup plus efficace que chacun de son côté.

Il y a des exemples de réconciliations autrefois inimaginables : la Turquie et l’Arménie discutent après un siècle d’hostilité, les deux Corées ont failli signer la paix (ça reste fragile, mais il y a eu des sommets fraternels).

Plus proche de nous, la Ethiopie et l’Erythrée ont mis fin en 2018 à 20 ans de guerre glaciale par un accord de paix soudain, qui a valu au Premier ministre éthiopien un Nobel. Donc pourquoi pas un Prix Nobel de la paix Maghrébin en 2035 pour les leaders algérien et marocain qui auront scellé la réconciliation ? Ce serait historique.

Les bénéfices seraient énormes pour les deux pays. Le Maroc pourrait profiter du gaz algérien pas cher au lieu de le quémander très loin, il accéderait via l’Algérie au marché africain plus facilement (route transsaharienne par ex.), et calmerait la question du Rif (puisque le voisin algérien ne serait plus là pour potentiellement envenimer si un jour ça chauffe). L’Algérie, elle, bénéficierait de l’expertise marocaine dans le tourisme, la finance (leurs banques, leurs hôtels, pourraient investir chez nous), et gagnerait un accès à l’Atlantique via Tanger Med pour ses exportations éventuelles.

En fait, les deux exploseraient car ils pourraient mutualiser leurs forces complémentaires : l’Algérie a l’énergie et le potentiel industriel lourd, le Maroc a l’agro-industrie performante et le savoir-faire export dans certaines niches (engrais phosphatés, textile, etc.). Ensemble, ils auraient une palette complète. Ajoute la Tunisie pour le côté éducation/santé de qualité, et la Libye si elle se stabilise pour le capital financier, et le Maghreb deviendrait ce qu’il aurait toujours dû être : un second “dragon” méditerranéen après l’Espagne/Italie.

Bien sûr, il faudra surmonter des décennies de méfiance et d’orgueil national. Ça passera probablement par un changement de génération. La société civile aura un rôle aussi : déjà malgré la fermeture, beaucoup de Marocains et d’Algériens sont restés fraternels via les réseaux sociaux, les mariages mixtes dans la diaspora, etc. Ce lien humain, s’il est encouragé, fera pression pour la normalisation.

Et un acteur externe peut aider, tu mentionnes la Chine qui a surpris tout le monde en réconciliant Saoudiens et Iraniens. La Chine a d’excellentes relations avec Alger et Rabat, elle investit chez les deux, donc oui, elle pourrait très bien proposer une médiation quand le contexte sera favorable. Même d’autres, comme les Émirats ou la Turquie, pourraient jouer un rôle de facilitateurs, car ils ont intérêt à un Maghreb apaisé (pour leurs investissements).

En 2040, si la frontière Algérie-Maroc est ouverte, ce sera un signal que le Maghreb a enfin décollé. Les échanges commerciaux qui reprennent, les familles qui se retrouvent à Maghnia et Oujda après 45 ans de séparation, ce serait émouvant et porteur de tant d’espoirs. C’est le vœu pieu de beaucoup de Maghrébins. Reste à voir si la realpolitik le permettra, mais il faut y croire. L’Europe s’est bien unie après des siècles de guerres, pourquoi pas nous ?

Soleil, vent, nucléaire : quelles énergies pour 2040 ?

Revenons un peu sur l’énergie, car c’est le nerf de la guerre pour le futur, et tu m’as interrogé sur l’éolien, le solaire, le nucléaire. L’Algérie a cette chance d’avoir du pétrole et surtout du gaz, mais on sait que le monde va lentement s’éloigner des fossiles (et les réserves finissent par décliner). Donc diversifier le mix énergétique est crucial.

Le solaire est clairement l’axe numéro 1. On en a parlé : potentiel gigantesque, et coûts qui ont chuté. En 2021, le pays a lancé “TAFOUK1” (un programme solaire de 4 GW), et on voit émerger des fermes solaires un peu partout. Si la cible de 22 GW de renouvelables en 2030 est tenue, ce serait formidable – même si c’est ambitieux. En 2040, on peut raisonnablement imaginer que l’Algérie ait au moins 30-40 % de son électricité venant du solaire et de l’éolien. Ça permettrait de libérer du gaz pour l’export ou pour la pétrochimie au lieu de le brûler dans les centrales.

L’énergie éolienne, par contre, suscite plus de réserves. Dans le monde, on commence à critiquer l’éolien pour diverses raisons : intermittence (quand il n’y a pas de vent, zéro production), nuisances visuelles et sonores, impacts écologiques (oiseaux tués, etc.). Des pays comme l’Allemagne ont ralenti un peu l’éolien terrestre faute d’acceptation locale, et misent plus sur l’éolien offshore en mer (mais nous, on n’a pas de zones marines à vent fort comme la mer du Nord).

L’Algérie n’a pas un gisement éolien exceptionnel en comparaison du solaire. Les meilleures zones de vent sont sur les hauts plateaux et certaines passes entre montagnes. Alors, est-ce vraiment une opportunité ? Differencions : l’éolien terrestre massif, peut-être que l’Algérie va en installer un peu (il y a déjà 10 MW à Adrar). Mais je ne la vois pas couvrir ses steppes d’éoliennes comme l’Espagne l’a fait – la densité rurale est faible mais le vent aussi est irrégulier. En revanche, l’éolien pourrait être utilisé à plus petite échelle pour des villages isolés, ou des projets hybrides (solaire + éolien) pour lisser la production, puisque souvent quand le soleil se couche, le vent se lève (en tout cas sur le littoral).

Pourquoi l’Algérie serait-elle différente sur l’éolien ? Peut-être parce qu’elle a de vastes zones désertiques où on peut mettre des parcs sans gêner de population. Pas de syndrome NIMBY (“not in my backyard, pas sur mon terrain”) car il n’y a personne sur des kilomètres. Donc on peut mettre des grandes éoliennes de 150 m de haut dans le désert sans plainte de voisins. Le défi sera plus technique (le sable, la maintenance loin de tout).

Le solaire ne pose pas ces problèmes de nuisances (à part l’occupation de terrain, mais on en a). Les projets futurs excitants dans le solaire incluent aussi la concentration solaire (CSP) avec stockage thermique, et la production d’hydrogène vert à grande échelle. L’Algérie vise à devenir un acteur de l’hydrogène vert pour exporter vers l’Europe (beaucoup d’études en cours). Si en 2040 on a, disons, 5 GW de solaire à concentration produisant de l’électricité stockable la nuit, + un pipeline d’hydrogène vers l’Italie, ce serait une révolution.

Concernant le nucléaire : l’Algérie n’a pas de centrale nucléaire à ce jour, juste deux petits réacteurs de recherche (Es-Salam à 15 MW, et NUR à 3 MW). Il y avait des plans pour une centrale vers 2025, mais qui ne se sont pas concrétisés. Franchement, la question du nucléaire civil en Algérie reste ouverte. D’un côté, le pays maîtrise déjà un peu la technologie (des ingénieurs formés, etc.), de l’autre il y a l’opinion publique qui peut être méfiante (à cause de l’histoire des essais nucléaires français au Sahara, le nucléaire a mauvaise image). Cependant, d’ici 2040, la transition énergétique pourrait pousser à en construire pour économiser le gaz. Des pays comparables s’y mettent : l’Égypte construit sa première centrale avec l’aide des Russes, les Émirats ont allumé 4 réacteurs flambant neufs. L’Algérie pourrait faire appel aux Chinois ou aux Russes (ou aux français si réconciliation totale, soyons fous) pour installer 1 ou 2 tranches de 1000 MW. Un obstacle sera la question géologique (il faut un site sûr sismiquement, peut-être dans l’Ouest du pays, ou au Sahara stable). Mais si l’électricité est en demande forte et qu’on veut réduire le carbone, le nucléaire peut réapparaître sur la table.

Quelles références prendre ? Le Qatar est un exemple intéressant non pas pour le nucléaire (il n’en fait pas), mais pour la diversification énergétique. Le Qatar investit énormément dans le solaire (ils ont inauguré une centrale de 800 MW en 2022) malgré qu’ils aient du gaz à profusion. Eux, leur truc c’est plus de devenir un hub financier et médiatique (avec Al Jazeera etc.).

L’Algérie a moins cette vocation de hub mondial, mais peut s’inspirer de comment un petit pays riche planifie l’après-pétrole en investissant dans la connaissance, l’éducation, etc.

L’Arabie Saoudite, comme j’en parlais, offre aussi un parallèle plus proche (pays rentier qui se bouge pour ne plus être que rentier). Eux lancent même un projet de ville futuriste NEOM dans le désert : 500 milliards investis, ville high-tech zéro carbone.

Pourquoi l’Algérie n'aurait pas ses propres giga projets ?

Il y a des idées parfois de “villes nouvelles intelligentes” (on a eu le projet de Sidi Abdellah tech, etc., qui n’a pas été très loin). Avec l’argent du gaz, au lieu de le mettre dans des comptes à l’étranger, on pourrait financer un démonstrateur de ville durable algérienne : panneaux solaires partout, voitures électriques, tri total des déchets, recyclage de l’eau, etc. Ce serait une vitrine pour dire “voyez, on n’est plus juste Hassi Messaoud, on sait aussi faire de la tech verte”.

Donc, pour résumer : en 2040, je vois un mix électrique algérien dominé par le solaire (disons 40 %), une part de gaz toujours là (40 % avec centrales plus efficaces), un peu d’hydroélectricité et d’éolien (10 %), et possiblement du nucléaire (10 % si deux réacteurs tournent).

L’énergie sera un secteur d’export aussi, via hydrogène ou câbles électriques sous-marins vers l’Europe (il y a un vieux projet de câble Algérie-Sardaigne-Italie). La réussite dans ce domaine exigera de bien gérer les projets (pas de fiascos type Desertec avorté) et d’allier les forces avec des partenaires (Chine pour le solaire, Europe pour l’hydrogène, Russie ou Corée pour le nucléaire, etc.).

Rappelons que l'énergie c'est la base de la croissance. Pas d'énergie pas de croissance.

L'énergie sera aussi hyper importante pour les nouvelles technologie notamment pour l'IA grosse consommatrice d'énergie, pour la data, pour la blockchain. Le forage de bitcoin consomme beaucoup d'énergie. L'Algérie pourrait être un des leader dans ce domaine grâce à son énergie à petit prix.

Vers un Maghreb puissant et indépendant ?

Pour finir, j’aimerais aborder ta question sur une éventuelle alliance militaire arabe style OTAN d’ici 2040 et la place de l’Algérie là-dedans.

C’est un vieux rêve souvent évoqué dans les sommets mais jamais abouti. Les obstacles sont nombreux : divisions politiques (certains pays arabes sont pro-USA, d’autres anti), conflits internes (regarde le Golfe, un coup ils sont amis, un coup ils se boycottent), etc. L’idée d’un “OTAN arabe” a été lancée surtout pour contrer l’Iran à un moment, sous impulsion de Trump, mais elle n’a pas pris.

Pour l’Algérie, qui est farouchement non-alignée, entrer dans une alliance militaire multilatérale ça serait un sacré tournant. Elle a toujours refusé par exemple d’envoyer des troupes hors de ses frontières (sauf missions ONU). Je pense qu’à moyen terme, elle restera sur cette doctrine.

Par contre, on pourrait voir émerger vers 2040 une coopération de défense plus étroite entre certains pays arabes, et l’Algérie pourrait y contribuer sans être inféodée. Par exemple, si en 2040 la menace terroriste existe toujours, peut-être verra-t-on une force antiterroriste conjointe nord-africaine où Algériens, Tunisiens, Égyptiens coopèrent étroitement pour assurer la paix dans le Sahara et le Sahel ? Ou une défense aérienne coordonnée entre pays arabes via un partage de données radar, ce genre de choses.

Une alliance type OTAN, c’est-à-dire qu’on considère qu’une attaque contre l’un est une attaque contre tous, me paraît difficile tant que la question palestinienne n’est pas réglée ou tant qu’il y a des régimes très divergents. L’Algérie se verrait mal s’engager à défendre militairement un pays du Golfe s’il se fait attaquer par l’Iran, par exemple, vu qu’elle est relativement proche de l’Iran diplomatiquement.

Inversement, beaucoup de monarchies du Golfe ne bougeraient pas le petit doigt pour l’Algérie en cas de pépin, car les Arabe du Golfe ne considèrent pas les Maghrébin comme de véritables arabe et l'Islam n'est pour le moment pas un ciment suffisant pour unir ces pays aux cultures très différentes.

En revanche, une alliances régionales plus restreintes serait vraiment possible. Si le Maghreb si ça se réconcilie, Afrique du Nord dans un premier temps, et d’autres part une intégration africaine (les armées africaines pourraient coopérer via l’Union Africaine, où l’Algérie jouerait son rôle).

Depuis la fermeture officielle de l’opération Barkhane en 2022, Bamako, Ouagadougou puis Niamey ont rompu leurs accords militaires avec Paris et exigé le départ des troupes françaises, reprochant à la France non seulement son inefficacité mais aussi, pour les autorités maliennes, d’avoir « largué armes et munitions aux groupes terroristes » opérant dans le Sahel (aljazeera.com, voanews.com). La junte burkinabè a formalisé la même décision début 2023, dans un climat de manifestations massives hostiles à la présence française (africanews.com, aljazeera.com), et le dernier détachement français a quitté le Niger en décembre 2023 après la dénonciation unilatérale des accords de défense (reuters.com). Ces ruptures s’ajoutent au constat, largement documenté par les chercheurs et l’ONU, que la chute de Kadhafi en 2011 a libéré des stocks d’armes qui ont nourri les insurrections jihadistes de tout le Sahel (sipri.org, time.com).

Pour Alger, cette séquence confirme qu’une coopération sécuritaire sans résultats tangibles se retourne vite contre ses bénéficiaires : reliance excessive, soupçon de double jeu, rejet populaire. D’où la doctrine algérienne, inscrite dans la Constitution révisée en 2020 : aucune intervention extérieure sans mandat multilatéral et vote des deux tiers du Parlement, et jamais sous commandement étranger (constituteproject.org). Le pays renforce donc ses capacités internes : le budget défense bondit à plus de 25 milliards $ dans la loi de finances 2025, un niveau record dans la région (bloomberg.com) ; l’armée déploie désormais des S-400 russes et développe une flotte de drones MALE (armyrecognition.com).

L’expérience iranienne de la « guerre de douze jours » contre Israël en 2025 a toutefois montré qu’une coopération à la carte ne suffit pas si le conflit s’étend : faute d’alliance formelle, Moscou est resté spectateur et Téhéran s’est retrouvé seul sous les frappes. Le haut commandement algérien en tire une conclusion pragmatique : garder l’autonomie décisionnelle, oui, mais négocier dès aujourd’hui des garanties techniques — pré-positionnement discret de pièces détachées, stocks de munitions, protocoles d’interopérabilité minimale — de sorte qu’un soutien étranger puisse s’activer sans délai si la dissuasion échoue.

La montée en puissance militaire de l’Union européenne, qui vise désormais 5 % du PIB pour la défense à l’horizon 2035 (theguardian.com, nato.int), et le resserrement du partenariat russo-chinois accroissent le risque de polarisation. Or l’Algérie reste dépendante du marché européen pour ses exportations gazières tout en s’équipant majoritairement en Russie et en Chine, la France d'Emmanuel Macron a fortement dégradé les relation Paris/ Alger, concrètement c'est une énorme erreur stratégique qui pousse l'Algérie à chercher d'autres partenaires commerciaux (la Chine ?) et l'éloigne un peu plus encore du bloc occidentale.

Cependant, l'Algérie consciente de ses limites (dépendance technologique presque totale vis à vis de l'étranger) cherche donc à maintenir une posture d’équilibre : diversifier ses fournisseurs (Moscou, Pékin, Ankara, mais aussi quelques systèmes occidentaux limités au contre-terrorisme) et multiplier les canaux diplomatiques afin de ne jamais être perçue comme l’avant-poste exclusif d’un bloc.

La prochaine étape est donc claire : augmenter rapidement l'autonomie de l'Algérie en matière d'armement, de fabrication de munition, de missiles, de drones, d'avions, de bateaux... en prenant exemple sur la Turquie ou sur l'Iran, car le non alignement cher ç l'Algérie n'est en réalité qu'une chimère tant que l'Algérie ne produira pas elle même ses armes et munitions.

Dès que l’on parle de systèmes lourds – chasseurs, sous-marins, frégates, batteries de défense S-400, radars de veille longue portée – l’Algérie reste dépendante de l’extérieur. Entre 2020 et 2024, 48 % de ses importations d’armement provenaient encore de Russie, 19 % de Chine et 14 % d’Allemagne ; les achats américains ou français restent marginaux mais existent pour la lutte antiterroriste sipri.org. Autrement dit, la moitié de la technologie critique (missiles sol-air, moteurs d’avion, suites de guerre électronique) peut encore être coupée par une sanction ou un embargo.

L'objectif de l'Algérie doit donc être d'accroitre ses capacités de production et de R&D militaire afin de défendre cette indépendance qui le cœur de sa stratégie géopolitique.

En refermant ce dossier, je veux que tu retiennes trois idées clés. Premièrement, l’Algérie n’est plus le géant immobile que décrivaient les rapports du début des années 2000. Son PIB hors hydrocarbures progresse autour de 4 % par an depuis 2022, les réserves de change couvrent plus d’une année d’importations, et la démographie lui offre un marché intérieur de cinquante millions de consommateurs d’ici à 2030. Autrement dit, la base économique existe ; elle demande maintenant à être structurée par un cadre fiscal lisible et compétitif. En imitant la règle estonienne — 0 % d’impôt tant que le bénéfice reste dans l’entreprise, 15 % seulement à la distribution — et en fixant une flat tax personnelle à 10 % pour les membres de la diaspora pendant leurs sept premières années sur place, Alger creuserait une différence de vingt points avec Paris, Madrid ou Casablanca sur chaque euro de profit. C’est le genre d’écart qui fait basculer un plan d’affaires.

Deuxièmement, la posture stratégique algérienne repose sur deux piliers : l’autonomie de décision et la capacité à décourager une agression régionale. Les S-400, l’Iskander-E et la montée en puissance des drones MALE donnent déjà à l’ANP une dissuasion crédible dans un rayon de 300 kilomètres. Reste à sécuriser la logistique : pièces détachées stockées à l’avance, accords de soutien technique activables sans vote extérieur, et coopération ciblée avec les voisins sahéliens pour éviter qu’un foyer jihadiste ne se transforme en tête de pont contre le nord. L’expérience iranienne de 2025 montre qu’une coopération ‟à la carte” doit être complétée par des garanties concrètes ; l’Algérie a commencé à en négocier, elle doit poursuivre jusqu’à disposer d’un filet de sécurité activable en moins de quarante-huit heures.

Troisièmement, la normalisation avec Rabat sur le Sahara occidental reste la condition pour un véritable marché commun maghrébin et pour une défense régionale intégrée. Tant que la frontière restera fermée, les deux économies perdront chaque année plusieurs points de croissance au profit de ports ibériques ou italiens. Une médiation sérieuse — probablement sous l’égide de l’Union africaine plutôt que de l’ONU, trop marquée par les votes occidentaux — offrirait aux deux pays un bonus commercial immédiat et libérerait des moyens budgétaires actuellement engloutis dans la course aux armements.

En 2040, si Alger réussit ce triptyque — fiscalité simple, autonomie militaire adossée à des garanties techniques, stabilisation diplomatique de son voisinage —, le pays peut devenir l’atelier d’assemblage et le centre de services du sud méditerranéen. À cette date, un investisseur entré en 2025 pourrait raisonnablement viser un doublement de sa mise dans l’immobilier résidentiel des grandes villes, un triplement dans l’agro-industrie d’exportation et, dans la tech de proximité, des multiples comparables à ceux observés aujourd’hui à Tunis ou à Dakar. À l’inverse, si la réforme fiscale reste inaboutie et si la rivalité avec le Maroc s’enlise, l’Algérie continuera à dépendre du baril pour équilibrer ses comptes, et l’occasion sera manquée pour une génération.

La décision t’appartient, mais les lignes sont claires. Le potentiel est là ; il ne manque qu’un cadre simplifié et une diplomatie ciblée pour qu’il se transforme en résultats. Si tu cherches un terrain où ton capital, tes compétences et ton attachement affectif peuvent se rejoindre, l’Algérie de la prochaine décennie offre une fenêtre unique. La question n’est donc plus de savoir si le pays a un avenir : il s’agit de déterminer si tu veux en faire partie avant que le train ne quitte le quai.

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